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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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par l’usure et débouchèrent dans une pièce où l’air vicié se renouvelait difficilement par la mince fente d’une seule archère. Des chaînes, des colliers et des bracelets de fer pendaient à des crochets fixés au mur. Entre une caisse remplie de manilles de rechange et une pile d’écuelles, une enclume sur laquelle étaient posés un marteau et une paire de tenailles attendait. Le geôlier s’avança et souleva la trappe munie d’un anneau qui donnait accès aux cachots.
    — Si vous le voulez bien, mon père, dit-il en invitant Lionel d’un geste.
    Dès qu’il mit le pied sur l’un des degrés de l’échelle, Lionel suffoqua, pris de nausée. Le geôlier sortit quelque chose de sa poche et dit, en le lui offrant :
    — Tenez. Ça pue là-dedans comme chez les boucs. Faut avoir le cœur solide et on voit tout de suite que vous n’avez guère l’habitude.
    C’était un mouchoir imbibé d’eau de rose.
    — Merci bien… mon fils.
    — Pas de quoi. Tenez, voici une chandelle. J’ai aussi un banc pour vous. C’est là. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à appeler.
    Il déverrouillait une lourde porte qu’il lui ouvrit. Le grand moine entra d’un pas hésitant. Le geôlier posa le banc à l’intérieur et ressortit. La porte se referma derrière lui de la même manière que si cet emprisonnement d’une nuit avait été définitif.
    On aurait dit que le cachot était vide. Des insectes gras et noirs sinuaient entre les plaques de salpêtre qui tapissaient les murs, dérangés par la soudaine clarté qui leur était étrangère. Lionel leva sa chandelle. Un visage émacié se dessina dans la pénombre.
    Firmin était méconnaissable. Il devait y avoir un écart de quelques années seulement entre les deux hommes, mais le prisonnier aurait facilement pu passer pour l’aïeul du moine. La mauvaise enflure provoquée par son ivrognerie s’était brutalement résorbée, lui laissant la peau flasque et le teint jaunâtre. Ses cheveux et sa barbe d’un gris sale ressemblaient à des toiles d’araignée poussiéreuses. Le scorbut avait déchaussé ses dernières dents, et ses petits yeux porcins étaient profondément enchâssés dans des orbites creuses soulignées par deux poches ridées. Il était couvert d’ecchymoses, de brûlures et de plaies dont certaines s’étaient infectées et suintaient. Et, comme si tout cela ne suffisait pas, il était d’une saleté repoussante.
    — Oh ! mon Dieu ! Firmin !
    Il s’accroupit à la hauteur du vieillard. On lui avait retiré ses fers, peut-être dans le but d’adoucir les tourments de sa dernière nuit, et il avait été revêtu d’une chemise trouée et tachée. Il semblait ne pas s’en être aperçu. Cela ne faisait plus de différence désormais : le vieillard demeurait voûté sous un poids inexistant. Il agitait les mains devant lui en des gestes désordonnés qui ressemblaient, d’une manière amplifiée, aux mouvements d’une personne discutant avec animation. Il chantait. Du moins Lionel perçut-il ainsi la seule note monotone que le vieillard prolongeait sans arrêt jusqu’à ce que le souffle lui manque.
    Moment assurément tragique, pensa Lionel, que celui où Firmin s’était senti sombrer dans la folie, cet instant où sa raison, épuisée, avait cessé de lutter et vacillé avant de s’éteindre. La vie de Firmin, confiée à son tourmenteur, s’était déjà consumée.
    — Firmin, m’entends-tu ?
    Le condamné prit une grande inspiration et, tout en regardant le moine penché au-dessus de lui, il s’empressa de chanter plus fort sans remarquer que sa respiration, chargée de mucosités, crépitait. Ses mains s’agitaient de plus en plus.
    — Tiens, je t’ai apporté de quoi te couvrir un peu.
    Il déploya sur lui une couverture brodée de motifs fleuris qu’il avait précieusement emportée, pliée sur son coude. La dame Flamel, lorsqu’elle avait appris ce qu’il s’en allait faire, lui avait recommandé d’en faire cadeau au condamné. Cette chose était trop belle, elle était déplacée en un tel lieu. Lionel en fut gêné. Deux petites bosses se déplacèrent sous l’étoffe, et les mains du vieil homme ressortirent pour se poser sagement sur son giron. Il pencha la tête et se mit à les regarder intensément. Elles ressemblaient à deux vieux oiseaux gisant sur un lit de fleurs.
    Firmin ne se taisait pas. Longtemps, Lionel le laissa faire, sans le quitter des yeux.

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