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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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couleur de miel que le soleil levant rendait plus attrayants. Les miches encore tièdes embaumaient l’air frais de la rue qui s’animait peu à peu. Il y en avait de toutes sortes, du grossier pain ballé* jusqu’au pain de Gonesse très raffiné que l’on appelait pain de bouche, car il se mangeait pour lui-même. Les pains de froment valaient douze sous. Ils étaient faits de fine fleur de farine, et Adélie en préparait en plus grand nombre que de pains noirs ou de seigle, pour combler le désir de leur clientèle particulièrement sophistiquée. On y trouvait aussi des pains de cour, des pains de salle pour les hôtes, des pains de chevalier, d’écuyer et de valet, des pains de chanoine ; autant de variétés subtiles qui caractérisaient non pas la forme des miches, mais la composition de leur pâte. Louis savait déjà comment les différencier toutes, y compris certaines spécialités régionales comme les fouaces d’Amiens, les mollets* de Rouen et de Mézières et les pains de provende troyens. Il y avait aussi les cimereaux* et les cornuyaux*, tous des pains blancs, eux aussi. Le garçon aurait bien aimé pouvoir les goûter tous.
    Il était de mise que l’ouvrier travaille dans son atelier, à la vue des passants, afin de prouver son honnêteté. Mais les clients des Ruest pouvaient difficilement voir ces derniers à l’œuvre au four, sauf si les boulangers laissaient la porte de l’arrière-boutique ouverte. Louis s’empressait d’apporter des chargements de miches en prenant soin de ne pas refermer la porte. La maison plus fraîche contrastait fortement lorsqu’on avait passé la nuit près du four. Déjà les premiers badauds se haussaient sur la pointe des pieds afin de jeter un coup d’œil sur leur cour arrière où tenaient à peine le bâtiment du four, une remise et un puits. Pourtant, n’eût été de leur enseigne et de l’odeur appétissante qui régnait constamment aux alentours, leur maison à colombages ne se serait pas vraiment distinguée des autres dans ce quartier cossu.
    Adélie vint rejoindre son fils et commença tout de suite à servir les clients tandis que Louis préparait sa hotte de livraison. La journée s’annonçait belle.
    — Nous ne salons que le pain de luxe, expliquait Adélie à un homme rondouillard accompagné de son épouse.
    — Bien entendu. La gabelle est beaucoup trop élevée.
    — Il ne s’agit pas de cela, messire. C’est que, voyez-vous, le sel n’est pas nécessaire lorsque la farine est parfaite : il ne ferait que masquer le goût du fruit du pain. Nous n’en utilisons chez nous que pour récupérer des farines avariées ou germées destinées à notre usage personnel. Cela dit, je fais d’excellents pains au lait.
    Avant de partir, Louis rapporta de l’arrière-boutique de la tisane à la menthe tiède pour sa mère qui ainsi allait pouvoir se rafraîchir sans avoir à quitter l’ouvroir. Il l’avait fait infuser et l’avait versée dans leur beau pichet élancé muni d’une base et d’un col haut cintré. Ce récipient pouvait contenir deux pintes de breuvage ; c’était l’élément central de leur table à Noël. L’enfant avait également apporté à Adélie l’un des petits bols de céramique dont l’intérieur, tout comme l’extérieur, était enduit d’une glaçure décorée de motifs. Le goût des boissons servies dans ces bols ainsi imperméabilisés n’était pas altéré. Cette vaisselle précieuse leur venait du père d’Adélie, qui l’avait obtenue d’un Sarrasin d’Andalousie, selon ce qu’il disait. Elle avait, pour Louis, une origine mystérieuse, presque magique.
    Lorsque Adélie se retourna et aperçut le pichet, Louis s’approcha et l’embrassa sur la bouche, comme un homme. Puis il s’enfuit en courant.
    — Dieu du ciel ! dit une vieille femme indignée qui arrivait mal à propos.
    C’était la voisine, une cliente de longue date et, si l’on voulait, une amie de la famille. Adélie rougit jusqu’à la racine des cheveux sous sa coiffe.
    — Oh, bonjour, Artémise.
    Il n’y avait pas à douter qu’avant ce soir, tout le quartier allait être au courant de ce dont cette commère venait d’être témoin.
    — Eh bien, j’ose espérer que vous corrigerez une telle indécence, dit-elle.
    — Ce n’est pas ce que vous croyez, voyons. Ne vous en faites donc pas.
    — Vous choyez beaucoup trop ce fils unique, ma chère. Il est plus que temps pour vous d’en avoir

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