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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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d’autres.
    Adélie connaissait ce discours par cœur. Artémise allait lui assurer que le fait d’être fils unique retarderait le développement déjà précaire du garçon. Que Firmin avait d’instinct adopté envers lui l’attitude compensatoire du père fort et autoritaire, Louis étant déjà débilité par sa forte dépendance à sa mère.
    — Et vous aimez trop ce petit. Vous le couvez et le consolez sans rien exiger de lui. Il deviendra efféminé. Ce sera un faire-valoir sans aucune volonté ni initiative, voilà. Il ne sera jamais qu’un grand imbécile qui s’accrochera aux basques d’un puissant et qui lui baisera les pieds en se persuadant qu’il est aussi intelligent que lui.
    La même voisine avait dit, un jour, à un collègue de la guilde : – La malheureuse n’a que cette pauvre créature sur qui épancher son amour. Vous connaissez son mari aussi bien que moi. Mais ce Ratier demeurera toujours un enfant. Ne se rend-elle pas compte qu’elle ne lui a pas vraiment permis de naître ? C’est tout comme si elle le portait encore. Tous ces compliments dont elle le couvre pour la moindre peccadille ! Vous devriez entendre cela. Il se croira le nombril du monde et, une fois adulte, il n’aura sa place nulle part. Jamais il n’arrivera à se trouver une femme.
    Voilà tous les potins qu’allait déclencher ce baiser sur la bouche. Bien sûr, Adélie avait conscience de l’attachement excessif de Louis envers elle. Leur affection mutuelle s’était depuis un an transformée en une sorte de lien chaleureux, mêlé d’érotisme. Cela la troublait profondément, car Louis lui avait dit un jour :
    — Lorsque Père mourra, je me marierai avec vous. Elle se souvenait de sa réponse comme si elle datait de la veille :
    — Ne dis plus jamais une chose pareille ! Et je t’interdis même d’y penser.
    Il l’avait regardée à la fois surpris et contrit. Jamais Adélie ne haussait ainsi le ton. Elle avait pris conscience que, pour un garçon si jeune, mourir pouvait simplement signifier s’absenter longtemps. Il n’avait jamais expérimenté la mort en tant que réalité. Du moins le croyait-elle. Quoi qu’il en fût, elle lui avait demandé pardon et Louis n’avait plus jamais abordé la question.
    Néanmoins, elle craignait que Louis ne vînt à faire de Firmin son rival. Une telle attitude risquait de mener à la catastrophe, et dès lors elle s’efforça discrètement de mettre un frein aux premiers désirs de possession que son fils manifestait à son égard. Et ce n’était pas chose aisée que d’avoir à contrôler ses rares caresses. Louis n’était pas d’une nature très démonstrative.
    La voisine était repartie, un pain sous le bras, laissant Adélie à ses réflexions.
    « C’est l’autorité oppressive de Firmin qui est responsable de leur antagonisme », se dit-elle. Si au moins le boulanger pouvait s’en rendre compte. Mais non. Il ne réalisait même pas à quel point la révolte de son fils était justifiée et raisonnable, puisque jamais Louis ne tentait de porter la main sur son père ; à son idée, c’eût été pire que commettre un sacrilège. Malgré le fait que son fils le redoutait déjà suffisamment, c’était Firmin qui le traitait comme un rival à vaincre.
    Ce qu’Adélie était seule à savoir, c’était que Louis avait endossé trop vite une défroque d’adulte pour souffrir d’avoir été trop couvé.
    Il ne cherchait pas la protection maternelle, au contraire. C’était lui qui voulait devenir le gardien de sa mère. Et ce désir était mal compris, interprété faussement.
    Adélie elle-même ne pouvait soupçonner l’effet émollient qu’avait sa sollicitude sur le tempérament de son fils. Elle ne pouvait se douter que, sans ses attentions, il se serait transformé en monstre.
    *
    Les sacs de farine fraîchement moulue l’attendaient depuis trop longtemps dans la charrette du chasse-mulet*. Ce dernier avait soupé et bu quelques gobelets en sa compagnie, puis la soirée avait débuté avec une prometteuse partie de dés. Mais il se faisait tard ; il était plus que temps de rentrer. Firmin se leva de table à regret et enjamba le banc sur lequel il avait par mégarde répandu quelques gouttes d’un vin bon marché si âpre qu’il n’arrivait à en ingurgiter qu’une fois gris.
    La taverne qu’il fréquentait habituellement était mieux tenue que la plupart des établissements de ce genre. Comme elle était

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