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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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fréquentée par des marchands et quelques notables auprès de qui il valait mieux faire bonne impression, le propriétaire en prenait soin. Elle comptait une dizaine de tables et recevait une clientèle peu changeante.
    — Reviendrez-vous finir la partie, les gars ? demanda un compagnon buveur qui secouait deux dés d’ivoire dans sa main. Firmin n’en avait pas l’intention, mais il trouva l’offre tentante. Sans parler des ribaudes qui attendaient dans les chambres de l’étage. « Ce serait quand même moins déprimant que de chevaucher l’Adélie », se dit-il, même s’il trouvait assez excitant d’écraser le corps frêle de la boulangère sous son poids, de le sentir se tortiller et d’entendre ses gémissements de douleur.
    — Je te dirai ça si je suis capable de revenir, l’ami, répondit-il en ricanant.
    — Quoi, Ruest, ta femme t’en empêcherait ?
    — Hé ! hé ! J’aimerais bien voir ça. Bon, allez, on y va. À plus tard, peut-être.
    Il donna une claque sur l’épaule du gringalet qui était avec lui, et ils sortirent ensemble.
    Le trajet pourtant court entre la taverne et la maison risquait d’être plus long que tout le reste du voyage dans des rues bondées : il faisait nuit noire, et les deux hommes étaient passablement ivres. Le pauvre mulet ne savait où donner de la tête, guidé comme il l’était par des mains hésitantes. À plusieurs reprises, Firmin trébucha dans des timons de charrettes invisibles que l’on avait appuyées contre les murs pour la nuit. Il faillit se crever un œil.
    — Saleté de pavement mal foutu, grommela-t-il.
    — Encore heureux que le guet soit aussi saoul qu’on l’est… supposa le jeune homme. Je connais quelques fonds de ruelles qui nous tiendraient bien au chaud si nous nous trouvions quelque belle à trousser. Eh, voyez un peu là-bas.
    Une petite lumière venait dans leur direction en sautillant. Firmin s’arrêta et s’appuya contre la charrette en plissant les paupières.
    — Une esconse*. Croyez-vous que ce soit un maraudeur ?
    Ils pouvaient maintenant discerner le lumignon de la lanterne à travers sa feuille de corne givrée par la poussière. Une silhouette maigrichonne se dessinait derrière.
    — Ah non, t’en fais pas. C’est personne. C’est juste le Ratier.
    Louis les rejoignit en silence et prit les devants en marchant lentement devant le mulet, sa lanterne tenue bien haut. Les vacances étaient terminées. Le petit mitron* s’en voulut de ne pas apprécier le retour de son père. De son côté, Firmin refusait d’admettre qu’il était soulagé de voir Louis arriver, sa hotte vide ballottant sur son dos.
    Une fois que la charrette fut parvenue à la grille donnant sur la cour, Firmin dit :
    — Viens un peu par ici, le Ratier. Tu vas nous aider.
    — Oui, Père.
    L’enfant exténué obéit docilement et se débarrassa de sa hotte. Le boulanger frotta ensemble ses mains noueuses afin d’y rétablir une circulation déficiente. Il regarda Louis s’essouffler à bousculer un gros sac que l’adulte aurait pu transporter lui-même aisément sur son épaule. L’enfant, appuyant le dos contre un sac de grains, en poussa un autre en bas de la charrette de ses pieds nus et sales. Il sauta et traîna son fardeau à reculons jusqu’à l’arrière-boutique.
    Firmin l’observait attentivement avec ce sourire en coin qui chez lui était si menteur. Cette expression qui aurait dû parler de joie signifiait plutôt qu’il était sur le point de changer d’humeur. Cela arrivait immanquablement lorsqu’il restait parti des heures durant et revenait avec cette haleine.
    — Par saint Lazare {26} , on en a pour la nuit, dit-il à son compagnon qui observait la scène lui aussi.
    — Ça oui. Il n’y a pas à dire, vous l’avez bien dompté.
    — Tu dis vrai. Mais, crois-moi, ça n’a pas été chose facile. Cet enfant-là, c’était un vrai petit sauvage. Avant, il refusait de manger et pissait au lit pour me défier. Laisse-moi te dire que ces bêtises-là n’ont pas duré ; j’ai eu vite fait de le calmer. Seulement, c’est un abruti. On lui parle et il ne comprend rien. Faut que je le dresse à coups de bâton, comme un chien.
    Les deux hommes se passèrent un cruchon de vin qu’ils avaient emporté. Ils regardaient Louis s’éreinter sans aucunement se soucier du fait qu’il pouvait tout entendre. C’était comme s’il n’existait pas.
    Ses révoltes d’enfant dont ils parlaient

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