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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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étaient bien loin derrière, désormais. Louis avait tôt appris que le refus de manger, alors que chaque bouchée de nourriture était précieuse, ne jouait pas en sa faveur. De même pour l’apprentissage de la propreté. Il avait donc opté pour une méthode plus subtile : il se retirait en lui-même, sous les apparences de la débilité. Le seul inconvénient, c’était que cela ne le protégeait que des étrangers, et non pas de Firmin et de sa répression par la force physique. Louis s’était pourtant entièrement soumis à la volonté de son père.
    Il estima qu’il avait encore le temps de communiquer avec Firmin : la bête malfaisante était encore assoupie derrière les prunelles trop brillantes de l’ivrogne.
    — Père ?
    Louis avait rentré trois sacs. Ses bronches sifflaient et il était trempé d’une sueur froide. Des tremblements musculaires commençaient à lui traverser le corps par spasmes.
    — Il en reste encore. Ça vient ? dit l’homme qui nettoyait ses dents gâtées avec l’ongle de son pouce.
    — Oui, Père.
    — Fais vite.
    — Oui, Père.
    Mais Louis ne put faire vite. Des quintes de toux l’interrompaient de plus en plus fréquemment, et ses forces l’abandonnaient.
    — Allez, pousse-toi de là, incapable !
    Les hommes se chargèrent des derniers sacs et les montèrent à l’étage. Ils s’occupèrent aussi des autres que Louis avait traînés jusqu’au pied de l’escalier. L’enfant s’en sentit honteux, indigne, même s’il s’agissait là d’une corvée de grande personne. Il se tassa contre le mur et attendit, fourbu, les oreilles bourdonnantes.
    Lorsqu’ils redescendirent pour la dernière fois, Firmin donna une pièce au chasse-mulet, mais il garda le cruchon de vin.
    — Prends les devants, je te rejoins.
    Puis, à Louis qui n’avait pas bougé :
    — La prochaine fois, tu viendras au moulin avec moi. Je saurai t’y mettre à l’ouvrage, espèce de paresseux. Tant vaut le mitron, tant vaut la miche.
    Louis se laissa glisser le long du mur et s’assit par terre. C’en était fait de son bonheur.
    *
    — C’est vide ! hurla Firmin à sa femme en cognant le pot de terre cuite contre le couvercle du coffre qui était installé près de leur lit. C’est vide et ça ne doit pas l’être !
    Adélie s’essuya nerveusement les mains sur le tablier de chanvre qui la ceignait.
    — Puisque tu le dis, Firmin. Toi seul peux le savoir, je n’y touche jamais.
    Une lanterne transformait la fenêtre de la chambre conjugale en une feuille d’or d’apparence beaucoup trop noble pour enluminer pareille scène. Firmin reprit son souffle et se laissa tomber sur le coffre au pied du lit. Il empestait le mauvais alcool. Et voilà qu’il réclamait d’autres deniers pour retourner à la taverne.
    La boulangère ne trouva rien à ajouter et retourna au fournil. À quoi bon avouer le lait et les œufs achetés en secret, à quoi bon même tenter de discuter avec lui lorsqu’il était dans cet état ? Et comme elle le voyait rarement sobre, elle avait depuis longtemps cessé d’essayer de le raisonner. « Si au moins je pouvais reprendre un peu de vigueur », se dit-elle avec regret en préparant pour lui une portion de soupe*.
    Perdue dans ses pensées, la boulangère ne sentit pas son mari s’approcher furtivement par-derrière. Elle prit une écuelle en bois qui attendait sur une étagère devant elle et y disposa une tranche de pain. De petits cheveux fous s’étaient échappés de sa coiffe blanche et bouclaient sur sa nuque. Ils frémirent sous l’haleine avinée de Firmin.
    — J’ai trouvé ça dans ton bliaut*, dit-il en lui montrant une piécette de bronze dans le creux de sa paume. Les doigts d’Adélie s’enfoncèrent dans la mie qui commençait à durcir. Comment avait-elle pu être assez sotte pour oublier jusqu’à l’existence même de cette pièce ? Un page la lui avait remise l’avant-veille en échange de l’un de ces tout petits pains au lait, presque des gâteaux, si appréciés qu’on venait leur en acheter d’aussi loin que des faubourgs. Comme le jeune client n’avait pas d’autre pièce en sa possession, Adélie l’avait acceptée de bonne grâce et, débordée, avait négligé par la suite de la déposer avec les autres dans la tirelire. Se confondre en excuses et en justifications était inutile avec Firmin. Elle y renonça d’avance.
    Il s’assit sur l’arche où l’on pétrissait le pain, profanant

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