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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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avait été serré, comme si sa peau avait été touchée par des doigts sales. Louis dit :
    — Non, Mère, ne vous en faites pas. Je n’ai rien senti. Je vous jure que je n’ai pas senti les coups. Je suis juste très fatigué.
    — C’est ma faute. Je n’aurais pas dû le provoquer.
    — Non. C’est moi. J’ai mal travaillé. Mais, quand je serai grand, je ne le laisserai plus vous faire du mal. C’est promis.
    — Toi, je t’ai assez vu, lui dit Firmin qui était de retour et rajustait ses chausses. Tu vas aller t’occuper des bestioles. Les cafards et les souris se cherchent un coin où passer l’hiver. Et je crois avoir entendu un rat, là-haut.
    Cela augurait un séjour plus ou moins prolongé sous les combles. Épuisé comme il l’était et le corps raidi par les coups, il allait être difficile pour l’enfant d’y pourchasser un rat dans la pénombre. Firmin eut un rictus mauvais en lui remettant le bâton qu’il venait d’utiliser contre lui.
    — Tu vas me débarrasser de toute cette vermine. Que je ne voie plus une seule de ces bêtes. Tu pourras sortir pour manger quand tu auras fini.
    — Oui, Père.
    L’enfant se laissa enfermer dans ce vaste espace où régnaient un froid humide et une obscurité presque complète. Le rat, contrarié par cette intrusion, s’éloigna avec un couinement de protestation. Une écoute attentive renseigna Louis sur la présence d’au moins deux souris.
    Firmin donna presque la moitié de son souper à Adélie.
    — Je t’ai laissé du blanc de volaille. Tu es contente ?
    — Oui, Firmin. Merci. J’apprécie grandement ton geste.
    Elle posa une main timide sur l’avant-bras de son mari et s’étonna d’en être capable ce soir. Elle s’endurcissait donc, enfin ! Cela avait quelque chose de rassurant. Sans doute un jour viendrait où son corps ne sentirait plus rien, comme le tronc d’un arbre dont le cœur sensible s’enfouit bien profondément sous les couches successives d’aubier.
    — Viens. Allons nous coucher, dit-elle doucement.
    Comme un arbre, elle n’avait nulle part où aller. Ses racines plongeaient de plus en plus loin dans les entrailles de la terre. Elles y creusaient leur propre fosse. Si Firmin s’accouplait avec elle, peut-être allait-il se montrer plus conciliant envers Louis au matin.
    — Firmin, je… Il faut que je porte à nouveau les linges. Je dois cesser de travailler pendant quelques jours.
    — Oh, ça va, ça va. Je vais rester. Je ferai ta part et le reste {27} . Faut que je vous aie un peu plus à l’œil, tous les deux. Il est plus que temps de t’engrosser, toi.
    La partie de dés de ce soir-là ne fut jamais terminée, et les ribaudes fermèrent leurs volets.
    *
    Louis fut confiné dans les combles pendant trois jours.
    Ce n’était pas la première fois. Assez souvent, Firmin le séquestrait arbitrairement ou, du moins, pour des raisons que l’enfant n’arrivait pas à définir. Après s’être débarrassé des rongeurs lorsqu’il y en avait, il pouvait dormir un peu pour passer le temps. Mais il savait d’avance que ce n’était qu’un court répit. Bien vite, les exigences de son corps se rappelaient à lui. La première à se manifester était invariablement la soif. Venaient ensuite la faim et le besoin de se soulager. Il n’y avait aucun seau d’aisance sous les combles, et le plancher de bois rêche n’était pas couvert de paille. Mais le pire, à cette époque de l’année, c’était le froid. Cet enchevêtrement de malaises grandissants, ajouté aux courbatures consécutives aux coups reçus et au fait de savoir Firmin seul avec sa mère, engendrait la peur. Louis était incapable de se rendormir.
    Récemment, il avait imaginé une issue. C’était un trou de souris découvert antérieurement dans l’un des murs. Il se mit à sa recherche en palpant les planches au ras du sol. Lorsqu’il trouva le trou, il s’assit devant et se mit à se bercer. « Tout ce que j’aurais à faire, ce serait de trouver la formule magique pour me faire tout petit, petit… et je filerais par là. De l’autre côté, c’est le jardin, j’en suis sûr. Il y fait grand soleil. Ça sent bon. Il y a des fruits plein les arbres. » En pensée il mordait dans une pêche si mûre que le jus sucré lui coulait le long du menton. Il n’avait pas conscience qu’il se passait la langue sur les lèvres et en avivait les gerçures. Si quelque chose, un bruit ou l’apparition d’un nouveau

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