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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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écoute pas. Elles sont bêtes. Allons, calme-toi. Cessez cela, les filles.
    Les enfants obéirent et regardèrent. Elle dit :
    — Peut-être est-ce seulement parce que nous ne te connaissons pas. Je m’appelle Églantine Bonnefoy. Et toi ?
    Il ne répondit pas. Tremblant de rage contenue, se balançant d’une jambe sur l’autre, la mâchoire saillante, il fixait les chaussons brodés de la fillette. Églantine dit, d’une voix enjôleuse :
    — Dis-moi ton nom, petit boulanger.
    — Louis Ruest.
    — Tu veux jouer avec nous ?
    Il en resta coi et cligna des yeux.
    — C’est que… des jeux, je n’en sais pas.
    — Tu voulais me frapper, n’est-ce pas ? dit-elle en s’avançant toujours, provocante.
    — Oui.
    — Le veux-tu toujours ?
    Feignant une candeur craintive, elle leva vers lui de grands yeux de myosotis. Il se passa la langue sur les lèvres.
    — Je sais plus.
    Les fillettes pouffèrent. Victorieuse, Églantine se retourna vers ses amies.
    — Vous voyez ? Ce n’est pas si bête, après tout, et ça peut parler !
    Louis détala, semant derrière lui un essaim de rires flûtés. Décidément, les filles étaient pires que les garçons. Il n’allait pas s’y faire reprendre de sitôt.
    *
    Peu avant le coucher du soleil, la mère Bonnefoy força Louis à aller se reposer un peu sur la berge, car il avait passé l’après-midi à vider des sacs de grains et à en remplir d’autres de farine. Or, il n’avait aucune envie de se reposer, pas après le délicieux dîner qu’il avait mangé. De plus, il appréhendait une autre mauvaise rencontre. Accroupi parmi les herbes rêches, il creusait de plus en plus rageusement un trou dans la terre à travers un lacis de racines à l’aide de son poinçon.
    Au cours des derniers mois, grâce à ses contacts sociaux plus nombreux avec la bande de Hugues, sa technique d’approche des entités hostiles s’était beaucoup affinée. D’abord, il examinait l’ennemi à vaincre et déterminait s’il fallait être prêt à l’attaque ou à la retraite. C’était la première étape. Or il avait découvert ce jour-là que les filles n’agissaient pas autrement ; elles le voyaient venir de loin avec cette méthode.
    Il se demanda pourquoi il avait éprouvé de la réticence à cogner Églantine qui pourtant le méritait. Églantine la jolie, Églantine la poupée. Tout le monde l’aimait, elle. Mais lui n’était pas intéressé à savoir pourquoi. Tout ce qui lui importait, c’était de ne pas souffrir de l’acuité de son propre manque d’amour. Églantine venait d’un univers différent du sien ; sans doute valait-il mieux ne pas chercher à comprendre. Encore un jour et demi et il allait s’en retourner à la maison vers ceux qu’il connaissait. Eux au moins étaient faciles à comprendre.
    Pourtant il avait quand même envie de châtier Églantine qui préférait les autres enfants. Cette réaction lui était beaucoup plus familière que sa retenue qu’il n’arrivait pas à s’expliquer. Il n’avait plus jamais manqué de se venger depuis le jour où il avait appris que c’était possible. Le châtiment infligé plutôt que reçu devenait pour lui une fonction créatrice.
    De son côté, Églantine était seule et s’ennuyait, car ses amies étaient parties. Une fois sur la berge, elle rejoignit inévitablement Louis qui était aussi désœuvré qu’elle.
    — Eh, Louis, viens ici.
    — Non. Va-t’en.
    Il assena à la terre meuble plusieurs coups de poinçon violents et trouva un grand ver qu’il lança aux pieds de la fillette. Elle grimaça, mais cela ne suffit pas à la faire partir. Elle le regarda faire un moment en inclinant la tête d’un air coquin et dit doucement :
    — Dois-je te rappeler que je suis ici chez moi ?
    — Pas ici. La Seine est à tout le monde et, si tu ne t’en vas pas, je vais te faire très mal.
    — Écoute.
    La fille du meunier s’accroupit devant lui.
    — J’ai été stupide tout à l’heure. Pardonne-moi, dit-elle en prenant le poing armé du garçon dans sa petite main douce.
    Saisi, Louis se laissa faire. Il songea : « Qu’est-ce qui lui prend tout d’un coup ? Regrette-t-elle de m’avoir fait du mal ? » Un enfant qui a cette certitude est prêt à tout pardonner. Il leva vers elle son regard un peu intimidé. À tout hasard, il décida d’user envers elle de son autre arme, celle qu’il avait nouvellement acquise. Il braqua son regard dans le sien. La

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