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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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Les incisives et les canines de Louis s’enfoncèrent davantage, alors que la ceinture qu’il avait saisie se mit à claquer contre son propriétaire. Firmin recula en geignant, cherchant à la fois à protéger son visage et à libérer sa main ensanglantée. Il assena à Louis plusieurs gifles retentissantes, sans résultat. Puis il pensa à lui forcer les mâchoires, et sa main fut dégagée.
    Pendant ce temps, Odile cherchait à extraire Bertrand, délaissé, de sous la table. Clémence était de retour, elle aussi ; elle avait laissé les enfants anxieux dans la chambre commune.
    — Oh, Louis… dit-elle tristement.
    Ils regardaient tous, effarés. C’était la première fois que l’adolescent s’en prenait physiquement à son père.
    Louis trouva que la ceinture ne causait pas assez de dommage ; il l’abandonna et la remplaça par ses poings. Il ne remarqua pas la ceinture qui s’éloignait en rampant discrètement. Odile la brandit un instant et la lanière bouclée atteignit l’adolescent au côté de la tête. Il s’affala contre Firmin, qui le retint avec difficulté pour le laisser glisser par terre.
    À bout de souffle, Firmin regardait son fils inanimé, étendu à plat ventre, un bras légèrement tordu, car quelques doigts s’étaient pris dans la cordelette de sa tunique. Odile, Clémence et même Bertrand se rapprochèrent avec hésitation. Ce dernier s’épongeait le nez avec un mouchoir déjà passablement imbibé de sang. Odile chuchota :
    — Doux Seigneur, c’est un chien enragé.
    — Laissez-le tranquille, dit Firmin. Il faut juste lui foutre la paix.
    Personne ne dit plus rien. Pour la seconde fois de sa vie, Firmin se prit à redouter son fils. En son for intérieur, il avait toujours su que les choses finiraient ainsi.
    Dans son coin sous les combles, Louis analysait le goût violent du sang de son père dans sa bouche. Les joues enflammées par les gifles, il n’avait pas conquis le territoire espéré. Il n’avait pas non plus perdu la bataille. Amour et haine, jusque-là clairement divisés, s’entremêlaient et dansaient follement l’un avec l’autre. Louis se roula en boule sur sa couche de foin et attendit.
    Comme de nombreuses victimes de mauvais traitements, Louis enfant avait surmonté sa rivalité à l’égard de son père en adoptant ses valeurs et son comportement. Cette dynamique avait fait de lui un tortionnaire qui exerçait à son tour sur les autres la violence qu’avait manifestée son père envers lui. Ce qui demeurait à la fois étrange et admirable, cependant, c’était qu’une forme d’amour persistait à croître dans ces conditions hostiles avec l’obstination d’un arbrisseau poussant sur le roc. Louis n’en continuait pas moins à aimer son tourmenteur, bien qu’il sût cet attachement sans issue. Peut-être était-ce dû au fait que la main qui l’avait frappé était également celle qui avait permis de le nourrir. C’était lui, son père, qui avait eu le contrôle absolu sur son bien-être comme sur sa souffrance. Louis percevait-il inconsciemment comme de la gentillesse le relatif adoucissement de ses conditions de vie ?
    *
    Le père et le fils s’étaient mis au travail avant l’aube le matin suivant. Firmin avait dû renoncer à sa part de pétrissage à cause de sa main bandée qui allait être inutilisable pendant quelque temps. Il prenait une pause et sirotait un breuvage qu’il avait pris soin de corriger à l’eau-de-vie.
    — N’oublie pas qu’il est temps d’aller au moulin, dit-il à son fils.
    Le vêtement de Louis adhérait à son dos, car il ne l’avait pas enlevé après avoir accompli son travail au pétrin.
    — J’irai si je peux, dit-il.
    — Tu le pourras. Et retire cette chemise atroce ! Je suffoque juste à te regarder.
    — Vous n’êtes pas obligé de me regarder.
    — J’ai fait cette boisson trop forte, je crois, dit Firmin en déposant son bol.
    Lui-même était nu jusqu’à la ceinture ; il exposait son torse barbouillé de poils brunâtres et hérissé de fétus à la chaleur du four. Louis savait depuis longtemps ce qu’il avait à faire. Il se dépouilla de son vêtement et se lava avec soin au seau pour éviter de souiller la pâte par la sueur ou la mauvaise haleine. Il se remit au travail. Ils cessèrent de causer pendant un certain temps.
    Un peu plus tard, l’adolescent entreprit de mettre à cuire la première fournée. Firmin ne pouvait s’empêcher d’examiner et

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