Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
mettre au pain noir.
    — J’espère que tu ne parles pas sérieusement, dit Odile dont la bouche lippue triturait de bon appétit un généreux fragment de pain au froment encore tiède.
    — C’est à cause de la guerre. Que veux-tu que je te dise ?
    — Tout cela ne serait jamais arrivé si les nôtres avaient su se battre au lieu de se laisser plumer à Crécy comme les volailles dodues qu’ils étaient, dit Bertrand {39} .
    Fidèle à son habitude, Louis écoutait et mangeait en silence.
    Le roi de France, Philippe VI de Valois, avait eu à faire un dur apprentissage. Il avait dû renoncer à appliquer tous les beaux principes de chevalerie qu’il avait glanés dans ses lectures pétries d’idéal romantique. La guerre était une chose sale, ingrate, ignoble. Les preux ne revenaient pas chez eux dans leur armure étincelante, bannière au vent : ils mouraient par milliers, inutilement, sur des champs de bataille gorgés de sang.
    L’on ne pouvait soupçonner que ces horreurs n’étaient que le début d’un conflit dont nul d’entre eux n’allait connaître la fin. La guerre de Cent Ans était commencée {40} .
    — On a spolié la chevalerie, voilà, dit Bertrand. Ces Anglais se battent comme les chiens d’archers gallois avec leurs lombeaux*, des barbares qu’ils sont allés ramasser dans leurs montagnes. Ils ont perdu tout sens de l’honneur.
    — En tout cas, il n’est pas encore né, l’Anglais qui va me priver d’une chère pareille, dit Odile dont le menton était dégoulinant du bouillon brun de son ragoût.
    — Moi, je leur fais la nique, aux Anglais, dit Amaury de sa voix flûtée.
    — Que dis-tu là, petit ? C’est un très vilain mot, dit Clémence.
    — N’empêche que le grain coûte de plus en plus cher, dit Firmin. Il va falloir que je révise mes sources d’approvisionnement. En plus, il y a le Bonnefoy qui commence à me faire des misères.
    — Tout ça ne serait pas arrivé avec un Capet, dit soudain Louis de sa voix muante {41} .
    — Ouais.
    — Qu’est-ce que tu connais à la guerre, toi ? demanda Bertrand.
    — J’en connais autant que toi qui t’assommes contre des branches d’arbre en jouant au preux avec tes amis et qui ensuite me mets ça sur le dos.
    Bertrand, outré, se leva et s’appuya contre la table pour crier :
    — Calomnies ! Je ne me suis assommé nulle part.
    — Laisse tomber, Bertrand, dit Odile.
    — C’est toi, espèce de vicieux, qui m’as pris par-derrière l’autre jour, et tu le sais.
    — Peuh ! dit Louis.
    Bertrand continua :
    — Et puis, je ne « joue » pas à la guerre, comme tu dis. Ce sont de vrais exercices, comme à la joute. Et toi, tu viens nous les saboter.
    — Ferme donc ta gueule, Bertrand. Tu m’embêtes, dit Firmin mollement.
    Mais le jeune homme n’écoutait plus. Il poursuivit, le visage rouge d’indignation :
    — On ne peut pas en dire autant de toi, le petit chéri à son papa, hein ? Tu joues au plus fort, mais je parierais que tu n’es même pas capable de tenir une lance correctement. Retourne donc à ton four et laisse la politique à ceux qui savent y faire.
    Il n’en fallut pas plus pour amorcer dans le regard de l’adolescent une étincelle de colère dévastatrice. Tel un serpent qui n’attendait que cela, Louis se détendit et frappa comme l’éclair. Une partie de la vaisselle se renversa. Personne ne comprit comment Bertrand, le nez écrasé par un coup de poing, avait roulé sous la table. Louis, accroupi, s’efforçait de l’atteindre, frappant à l’aveugle et s’écorchant les jointures contre du bois rude sans s’en apercevoir. Tout le monde s’était levé et les petits pleuraient. Clémence s’occupa d’eux et les emmena, tandis qu’Odile hurlait :
    — Bon Dieu, Firmin, fais donc quelque chose !
    Le boulanger défit maladroitement la boucle de sa ceinture, l’enleva, et commença à en frapper le dos penché de l’adolescent dont la tête et les bras disparaissaient sous le plateau de la table. Tremblant de rage, la ceinture brandie, Firmin dit, sans cesser de frapper :
    — Arrête ! Non mais arrête, merde ! Saleté, je t’aurai.
    Presque immédiatement, Louis se redressa et fit front, lèvres retroussées et mâchoire saillante. Il attrapa la lanière au vol et donna une secousse. La main de son père, tenant toujours la ceinture, se retrouva au niveau de son visage. Le garçon y planta des dents de fauve. Firmin hurla et lâcha prise.

Weitere Kostenlose Bücher