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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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respire encore, dit Louis, qui examina la petite blessure sur la tête de l’animal.
    Le malheureux chien passa un sale moment. Un tonneau vide fut roulé au pied du muret par les garçons excités. Les filles, d’un commun accord, décidèrent de se tenir prudemment en retrait. Solennel, Louis attendait avec une torche et un petit seau de poix qu’il avait subtilisé près d’un quai où reposait ventre à l’air une barque en réparation. Il avait ajouté à ce mélange une huile sombre, épaisse et nauséabonde, elle aussi dérobée un peu plus tôt.
    — Personne en vue. On peut y aller, dit l’une des filles aux allures de garçon manqué.
    Le tout ne dura que quelques minutes, mais l’effet fut des plus spectaculaires. Louis se chargea du chien qui s’était réveillé. Personne d’autre ne voulait le faire, ce qui n’avait rien d’étonnant. Il força la bête à entrer dans le tonneau qu’il redressa. Terrorisé, le chien tournoyait à l’intérieur en geignant, tandis que Louis versait dessus le contenu de son seau. Les garçons, subjugués et vaguement effrayés, reculèrent à leur tour.
    — Il bluffe. Il n’osera jamais, dit l’un d’eux sans conviction.
    Louis jeta le seau de côté et, d’un geste indifférent, lança sa torche dans le tonneau. Un cri horrible se mêla au soudain rugissement des flammes qui éclairèrent un instant la cour et les visages avant de s’assagir quelque peu sous un panache de fumée âcre.
    — Putain, dit l’un des garçons d’une voix tremblante.
    À la fois horrifiés et fascinés, ils observèrent Louis à la dérobée.
    — On va se faire gronder, dit Églantine, qui essayait de diminuer l’impact de cette scène macabre en y substituant un autre souci, certes louable.
    Louis se tourna vers elle et dit :
    — Tu n’as qu’à te taire et les parents n’en sauront rien. Les volets sont fermés et la fumée ne s’en va pas de ce côté.
    — C’est vrai, ils n’ont rien remarqué. Personne n’est sorti voir, renchérit l’un des garçons.
    — Il n’y a qu’à pelleter de la terre dedans pour l’éteindre.
    — Ce pauvre chien sans défense, dit Églantine qui battait en retraite vers la passerelle.
    Louis se mit à la suivre. Il s’arrêta à sa hauteur pour dire :
    — Eh bien, il est un peu tard pour les regrets, hein, Coquelicot ? Il n’y en a plus, de pauvre chien. Églantine recula et dit :
    — Je ne t’aime pas.
    La jeune fille ne pouvait exprimer autrement le malaise qu’il suscitait. Elle ne pouvait expliquer ce qu’elle comprenait peut-être d’instinct. L’enfant Louis avait jadis été vaincu par la force supérieure de son père, mais sa défaite n’était pas restée sans conséquences ; elle avait éveillé chez l’adolescent une cruauté et une insensibilité qui le poussaient à accomplir ce qu’il avait été obligé de subir passivement.
    Églantine savait, en son for intérieur, que les lueurs cruelles dans le regard de Louis étaient alimentées par une impuissance du cœur, par l’impossibilité d’émouvoir l’autre, de le faire réagir, de s’en faire aimer. C’était certes attristant, mais elle ne put s’empêcher de trouver cela méprisable.
    — Éloigne-toi de moi, Louis Ruin*, dit-elle.
    Un coup de poing en pleine figure fait moins pleurer qu’un mot, un seul, lancé à un moment précis et de telle manière. Louis encaissa en silence. Nul ne remarqua l’affaissement presque imperceptible de ses épaules. Cela ne dura qu’un instant. Les perles noires de ses yeux vacillèrent. Lui qui était persuadé de haïr Églantine se rendait compte qu’il l’aimait, car l’aversion qu’elle lui portait toujours était son triomphe à lui. C’était un signe qu’elle le voyait, qu’il existait pour elle. Comment eût-elle pu soupçonner qu’il se montrait odieux précisément à cause de son désir d’être remarqué d’elle, d’en être aimé comme Églantine, elle, était aimée ? Et il échouait lamentablement.
    Soudain, il se redressa et dit, d’un ton détaché :
    — Oh, va au diable, Coquelicot ! T’es qu’une pimbêche… Quelqu’un a faim ? Moi, oui.
    *
    Au fil des ans, la citadelle de Louis s’était perfectionnée. S’il n’avait pas ce qu’il est convenu d’appeler des amis, il s’était plus ou moins consciemment mis à exercer sur les autres un ascendant dont il s’était forgé une nouvelle arme, plus subtile que celles qu’il avait utilisées

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