Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
graduelle et cyclique des bruits à l’extérieur. Il se disait alors que la nuit était sans doute tombée, car, à l’occasion, des cris, des sanglots ou le passage d’une charrette secouaient encore la rue de sa torpeur.
    La famille ne se manifestait toujours pas. Il s’interdit d’appréhender le pire. En outre, il s’inquiétait pour Églantine. Comment allait-elle ? Où était-elle, maintenant ? Allait-elle essayer de venir le rejoindre ? Il espéra que non, même si elle lui manquait. Il ne fallait pas qu’Églantine commît d’imprudence en se lançant, seule et sans protection, par les rues infectées.
    Un jour, sans savoir pourquoi, il tira sur une planche qui faisait un peu de jeu dans le fond du grand coffre de ses parents. Un bout de bois mince s’en délogea. Intrigué, il tâtonna dans le creux ainsi découvert et eut la surprise de trouver, niché dans une sorte de double fond, un petit livre à couverture de cuir. Il l’emporta au rez-de-chaussée afin de voir ce que c’était à la lueur de l’âtre.
    C’était un missel de facture plutôt modeste. Louis n’en sut rien, bien entendu. Pour lui, les caractères s’alignaient sur les pages, incompréhensibles, telles des rangées de petites fourmis affairées. Mais il y avait quelques enluminures.
    À partir de là, Louis consacra plusieurs heures par jour à détailler chacune des précieuses illustrations, à essayer de se rappeler quel récit biblique elles évoquaient. Ce livre lui était d’un précieux secours : il lui occupait l’esprit et lui évitait de perdre la raison.
    L’adolescent se trouvait à l’étage lorsque survint un grattement à la porte de la boutique. Il sursauta. Ce n’était qu’un tout petit bruit, mais il eut l’impression qu’il avait ébranlé la maison. Il s’était depuis trop longtemps habitué au silence. C’était peut-être un chien. Mais le grattement fut suivi d’un coup violent, puis d’un autre. Des voix râlaient.
    Louis se mit en quête de son gourdin et appela du haut de l’escalier :
    — Qui va là ?
    Personne ne répondit. Les coups redoublèrent et les planches chevillées à l’huis finirent par céder. La porte s’ouvrit à demi. Louis se cacha derrière le mur pour regarder. Mais il n’arriva à distinguer que quelques formes vagues, car il faisait nuit dehors. Le rez-de-chaussée se peupla de respirations laborieuses et la porte se referma sans bruit. Il y eut un râlement, puis plus rien. Louis serra à deux mains son gourdin et entreprit de descendre lentement.
    — Qui est là ? Répondez.
    Ils étaient plusieurs, il en était sûr, mais personne ne bougeait. Peut-être étaient-ils effrayés. Il recula jusque dans l’arrière-boutique afin d’y allumer une chandelle aux braises mourantes de l’âtre. Un nom lui échappa :
    — Odile.
    Le visage que sa petite flamme dévoilait ne s’éclaircissait pas. Il semblait noir de crasse. Lorsqu’il s’anima enfin, des yeux fous scintillèrent. Le petit Gérard s’était accroché à ses jupes et elle tenait dans ses bras sa fillette de cinq mois.
    — Prends-la, s’il te plaît. Pars et emmène-la avec toi, dit Odile d’une voix méconnaissable, en lui tendant le bébé emmailloté.
    Il était inerte et flasque.
    — Non. Je ne peux pas, dit-il en reculant, horrifié.
    Le bébé était déjà mort depuis plusieurs heures. Peut-être même depuis un jour entier. La femme prostrée se déplaça légèrement. Gérard tomba à la renverse avec un bruit mat et ne bougea plus. Odile se mit à sangloter.
    — Elle ne prend plus le sein et j’ignore pourquoi. Elle doit avoir très faim. Nous étions allés en ville nous faire soigner. Nous avons passé des jours à chercher.
    — À chercher quoi ?
    — Je… je ne sais plus. La maison. Nous cherchions la maison. Nous étions perdus…
    — Où sont les autres ?
    Il manquait Bertrand, Firmin, Clémence et Amaury. Odile mit un temps pour répondre, comme si elle émergeait lentement de la folie pour un ultime instant de lucidité. Elle répondit :
    — Te fatigue pas. Eux aussi sont morts.
    Louis n’avait pas le choix. Il lui fallait partir.
    Odile se tut et demeura prostrée dans son coin.
    Il ne fallut que peu de temps à Louis pour préparer ses bagages. Dans un seul sac, il entassa quelques provisions sèches, ses remèdes, des vêtements de rechange et de quoi faire du feu. Il enveloppa soigneusement le pot de levain dans deux morceaux de laine

Weitere Kostenlose Bücher