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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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le moins possible. Tiens-toi loin des personnes atteintes et tâche d’éviter de respirer le même air qu’elles ainsi que leur puanteur. Chaque respiration est susceptible de te contaminer.
    — Bien. Merci.
    — Va et que Dieu te garde.
    *
    Louis ne trouva aucun des siens ni à l’Hôtel-Dieu ni ailleurs. Il courait par les rues de Paris où tout n’était plus que chaos et hideur. De certaines maisons aveuglées par leurs contrevents lui parvenaient des cris mêlés de sanglots qui s’amalgamaient au son des cloches de la ville pour s’élever vers un ciel aveugle où il ne semblait plus y avoir de Dieu pour les recueillir. On trouvait partout des gens prostrés, le regard fou ou figé. Il devenait de plus en plus difficile de distinguer les morts des vivants. Les charrettes des maraîchers avaient abandonné leurs potagers et ne se consacraient plus qu’au transport de cadavres au cimetière des Saints-Innocents. Après avoir fait la tournée des tavernes que Firmin fréquentait habituellement, Louis dut se résoudre à renoncer à poursuivre ses recherches. Cela devenait trop dangereux.
    À un carrefour, près du moulin des Bonnefoy, il aperçut un porc qui secouait du groin les haillons d’un mort.
    Ce fut Edmonde qui le reçut. De la porte entrouverte, à l’autre bout de la passerelle dont l’extrémité reliant le moulin à la rive avait été sciée, elle lui dit :
    — Ils sont partis de bon matin pour aller passer quelque temps chez des amis à la campagne. Tout va bien. Reviens plus tard.
    Louis jeta un coup d’œil à la roue du moulin, qui tournait au ralenti. Sans savoir pourquoi, il fut persuadé que la servante mentait. Il avait l’impression que les Bonnefoy étaient là, qu’ils s’étaient barricadés derrière leurs volets fermés. Sans doute valait-il mieux ne pas insister. Il tourna donc les talons en enfonçant le nez dans son mouchoir camphré.
    Moins d’une heure plus tard, après avoir erré sans but, il était de retour dans la rue où il avait vu le porc. La bête était toujours là, à quelques pas seulement du mort qu’elle avait flairé. Elle tournait en rond à petits pas rapides. Louis s’arrêta. Le porc ne le vit même pas. Tête basse, il émettait des grognements essoufflés, mais ne ralentit pas la cadence. Et soudain il s’effondra. Mort.
    Il était plus que temps de rentrer et de faire ce que les moines lui avaient prescrit.
    *
    Louis s’était barricadé dans l’arrière-boutique. Il s’y était fait une couchette et ne quittait la pièce que pour aller nettoyer ses affaires dans la cour. Les réserves de nourriture et le puits étaient sains, mais les gens, avertis par les médecins des risques encourus, ne venaient plus lui acheter de pain : la pâte pouvait avoir été pétrie par des mains malades. Le four demeura donc éteint. L’adolescent se contentait de faire sa propre cuisine au feu de l’âtre. Ses réserves de bois, de nourriture et de petite bière étaient abondantes. Il n’allait pas avoir besoin de sortir avant longtemps. Le seul travail physique auquel il s’astreignit, dès les premiers jours de son isolement, fut de cheviller aux volets des fenêtres et à la porte de devant plusieurs fortes planches afin d’en condamner les ouvertures. Il se dit que, si un membre de la famille finissait enfin par se présenter, il valait mieux le hisser par une corde à l’étage plutôt que de prendre le risque de se faire contaminer par quelque intrus désespéré.
    Après cela, afin de limiter ses besoins d’air, il laissa son corps au repos le plus possible. Il se contentait de manger et de se laver deux fois le jour. Le reste du temps, il demeurait étendu ou assis. Parfois il se levait et faisait le tour de la pièce pour se dégourdir les jambes. Ou il se rendait à l’étage et fouillait dans les affaires de son père. Il faisait presque noir dans la chambre, car il trouvait inutile de gaspiller une chandelle.
    Cette séquestration était interminable, infernale. Elle lui rappelait son enfance et les punitions de Firmin. Il se consola en se disant que, là au moins, il n’avait de comptes à rendre à personne et n’avait pas à souffrir de privations. Cette solitude lui pesait moins qu’elle l’eût peut-être dû. Il fut incapable de savoir combien de temps avait passé depuis le jour où il s’était enfermé, car la maison stagnait dans une obscurité constante. La seule chose qu’il remarquait était la diminution

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