Le jeu de dupes
tenta de parler malgré une mâchoire en mauvais état.
– Mademoiselle Violette… je suis désolé… ils ont la cassette.
Le serviteur voulut saisir la main de la jeune femme mais ses tortionnaires le tirèrent en arrière. Pour briser sa résistance et terrasser son gabarit hors norme, il ne fallut pas moins de cinq gardes-chiourmes.
– À nous la garce, siffla le Crochu d'un air entendu. Comme tu vois, ton larbin a récupéré ta boîte chez la Lenclos. Nous, ce qu'on veut, c'est les lettres à l'intérieur. Y a que toi qui sais l'ouvrir. Alors c'est simple : soit tu le fais maintenant, soit je lui fracasse le crâne.
Sur ce, il colla le coffret entre les mains de sa prisonnière. Nolwenn reconnut le « jeu de dupes » dont avait parlé sa cousine, objet secret censé lui servir d'assurance-vie en cas de difficultés. Son regard se posa sur le géant qu'on maintenait à terre. Elle n'avait aucun moyen de le sauver, elle ne savait pas déverrouiller la clepsydre.
– Comment on ouvre cette saloperie, dépêche-toi !
– Je l'ignore, murmura-t-elle, complètement défaite. Je suis Nolwenn de Rohan Montauban, je n'ai aucune idée de la manière dont on se sert de cet objet.
À terre Augustin releva la tête, médusé.
– Qu'est ce que tu me chantes là ! Obéis sinon je lui fais sauter la caboche et la tienne par-dessus le marché, éructa le Crochu en brandissant son pistolet.
Les mains tremblantes, Nolwenn se rendit compte que ses explications ne serviraient à rien et essaya d'indiquer un horaire censé permettre l'ouverture. À peine l'eut-elle fait qu'un petit bruit sec suivit sa tentative. L'acide contenu dans le mécanisme en cas de mauvaise manipulation se répandit en une fraction de seconde détruisant tout ce qui pouvait se trouver à l'intérieur. La captive comprit qu'ils étaient perdus. Elle fit le geste de protéger son ventre et fixa sa pensée sur son époux en attendant le coup mortel de Crochu.
Au même instant Augustin se redressa d'un bond et, poussant un véritable cri de guerre, empoigna son bourreau au collet en commençant à l'étrangler avec ses entraves.
– Ordonne à tes hommes de nous laisser passer ou je te tue !
Crochu déjà bleu ne se fit pas prier. Le valet, tout en maintenant la crapule en otage, prit la main de Nolwenn et réussit à franchir la porte du cachot en la refermant comme il put.
– Montez, je vous suis, dit-il.
La pauvrette grimpa les marches en pierre le plus rapidement possible. Elle fut aussitôt rejointe par Augustin qui traînait toujours Crochu. D'une pichenette il l'envoya valser dans l'escalier.
– Il faut courir, Madame, vite.
Nolwenn, exténuée par la seule montée, souffrait d'un point de côté. La voyant à bout de forces le géant tenta de la porter mais avec ses liens cela se révéla impossible. D'en bas on entendait les bandits enfoncer la porte.
– C'est perdu d'avance. Je ne ferai que vous ralentir et nous serons pris tous les deux. Je suis Nolwenn de Rohan Montauban, prévenez mon époux François… l'hôtel Bessières.
Elle prit conscience, devant l'air perplexe d'Augustin, que ce nom n'évoquait rien pour lui. Le doute l'assaillit : et s'il trouvait porte close ou pire Louise seule ? Où trouver l'aide la plus rapide… Prise d'une inspiration subite elle lança :
– La taverne des Trois Portes, rue Vieille-du-Temple, prévenez Simon le patron… je vais tenter de me cacher, courez, courez !
Le colosse acquiesça vigoureusement de la tête tout en faisant une dernière tentative pour la soutenir, toutefois il dut se rendre à l'évidence : la malheureuse avait raison, elle n'était pas en état de continuer.
– Courage, Madame, je vais revenir avec des secours !
Et il s'enfuit, maudissant Crochu et ses sbires qui l'obligeaient à abandonner ainsi une jeune femme sans défense, priant Dieu qu'il lui accorde de sauver celle qui ressemblait de façon si troublante à sa maîtresse.
6
Début mars 1651 (Suite)
Aux Trois Portes, Simon Lescoffier observait avec inquiétude une table occupée par ses meilleurs clients et amis au centre desquels siégeait le sieur Belfond. Ce dernier désormais n'honorait guère de sa présence son établissement, accaparé à assiéger une citadelle incarnée en la personne d'une avenante mercière, veuve de longue date et à vrai dire toute prête à se laisser conquérir. Le professeur, qui se réjouissait de partager son bonheur neuf avec François et Arnaud,
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