Le jeu de dupes
gentilshommes l'aidèrent à prendre place dans sa voiture et l'y rejoignirent à sa demande, un laquais attachant leurs montures à sa suite. La demoiselle reprit rapidement ses esprits et écouta attentivement le récit de François.
– Monsieur, je comprends votre inquiétude. Un coffret contenant des courriers codés laissé par Violette à mon domicile vous aurait certainement apporté des réponses, malheureusement il m'a été dérobé. Comment vous aider ?
La jeune femme remarqua alors qu'en chutant une baleine de son corsage avait arraché et ouvert le médaillon renfermant un portrait de Nolwenn que François portait toujours autour du cou depuis sa disparition. D'un mouvement gracieux, elle allait le lui rendre lorsqu'elle en vit le contenu et poussa un soupir.
– Madame, que vous arrive-t-il ? s'inquiéta François, redoutant un nouveau malaise.
– Je crains, Chevalier, que votre épouse ne se retrouve en fâcheuse posture. Vous dites qu'en aucun cas vous ne voyez en quoi on pourrait lui en vouloir, c'est cela ?
– En effet. Elle a vécu toute son enfance au fin fond du pays Léon et n'est venue à la cour qu'une unique fois pour être présentée à Sa Majesté juste avant notre mariage. Nous vivons dans nos terresauvergnates loin de tous complots, il n'y a donc aucune raison pour qu'on lui en veuille et je ne vois vraiment pas comment elle pourrait être mêlée à une quelconque intrigue.
– Dans ce cas, il ne reste qu'une seule explication qui, je le crains, n'augure rien de bon.
Elle tendit le médaillon à Javier qui pâlit en découvrant pour la première fois les traits délicats de Nolwenn.
– No me lo puedo creer… 3
L'aristocrate espagnol saisit immédiatement où Ninon voulait en venir. Il regarda François avec commisération car il y avait désormais peu de chances de retrouver Nolwenn vivante.
– Expliquez-vous ! Pourquoi ce médaillon vous fait-il craindre le pire pour ma femme ? gronda l'époux inquiet.
– Tout simplement parce que si cette dernière est la créature innocente et tranquille dont vous me parlez, sans aucun ennemi connu, éloignée de toute manigance et de tout règlement de comptes, il ne reste qu'une seule explication logique. C'est Violette qui était visée mais, pour je ne sais quel motif, ses tortionnaires ont commis une méprise fort compréhensible au vu de l'étonnante ressemblance entre les deux cousines.
– Ils auraient enlevé Nolwenn à la place de Violette, murmura François désarçonné, se reprochant de ne pas y avoir pensé auparavant.
Ninon se contenta de hocher la tête en silence.
– Pourrait-il exister un autre motif ? demanda Javier.
François réfléchit puis, à regret, fit un signe de dénégation. Cette question, il se la posait inlassablement sans pouvoir y apporter de réponse. Il n'y avait pas de meilleure explication.
– Bientôt, si ce n'est déjà le cas, le commanditaire s'apercevra de l'erreur commise et Nolwenn sera condamnée à une mort certaine, conclut-il d'un air désespéré.
Tous se turent durant le reste du trajet. Arrivés à la demeure de la demoiselle Lenclos, François la remercia pour son aide et la raccompagna à l'intérieur. La courtisane, désolée de ne pouvoir le rassurer, promit de se renseigner auprès de ses relations communes avec Violette. François prit congé. Il était si absorbé par ses sombres pensées qu'il heurta de plein fouet un visiteur dans le vestibule.
– Nom de nom, vous ne pourriez pas faire attention ? s'écria un quadragénaire charpenté qui le toisait, courroucé.
François se contenta de grogner quelques mots et voulut passer.
– Monsieur, vos manières sont celles d'un rustre et vous allez me rendre compte sur l'heure d'une telle désinvolture !
François-Jacques d'Amboise, comte d'Aubijoux, seigneur de Castelnau de Lévis, lieutenant général en Languedoc, gouverneur de Montpellier, chambellan et ami de Gaston d'Orléans, très inquiet du sort réservé à la jeune personne qu'il avait invitée à sa table et venant la réconforter, n'était pas le genre d'homme à se laisser offenser sans réagir etparaissait tout prêt à en découdre. Ninon, alertée par ses éclats de voix, intervint rapidement pour le calmer tandis que François jetait une excuse quasi inaudible sans prendre conscience, dans l'état d'abattement où il se trouvait, qu'il venait de se faire un ennemi dont l'animosité allait lui coûter cher.
1 Voir L'héritier des pagans
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