Le jeu de dupes
avait le visage sombre des mauvais jours, encore anéanti par le récit de l'enlèvement de Nolwenn et le fait qu'il s'en était fallu de peu qu'Arnaud passe de vie à trépas. Le baron de Saldagne jouissait fort heureusement d'une constitution solide et, malgré les hauts cris de son épouse, il avait décidé d'accompagner son beau-frère à la taverne cet après-midi-là, souhaitant mettre ainsi fin à sa période de convalescence. Les deux gentilshommes encadraient le distingué helléniste et tous trois offraient les mêmes signes d'abattement, rien ne semblant pouvoir les tirer de l'humeur morose qui les habitait depuis que François leur avaitrésumé l'entretien qu'il avait eu en compagnie de Javier avec Ninon de Lenclos.
La courtisane les avait invités à souper la veille pour les remercier de l'avoir raccompagnée. L'hypothèse de la méprise sur l'identité de Nolwenn paraissait plus que vraisemblable. Gervais, longuement interrogé, finit par se souvenir, qu'en effet, le Crochu avait usé du « mademoiselle » à l'encontre de Nolwenn, confirmant leurs craintes. Ninon, qui avait eu les lettres codées entre les mains, les amplifia en révélant le symbole qu'elle y avait lu et reconnu : le nombre 26 au-dessus d'ondulations évoquant la mer, signe dont Violette avait révélé la signification, très fière de partager ce secret contenu dans les échanges épistolaires entre la reine et son correspondant ainsi désigné : le cardinal en personne. L'insensée aurait-elle eu l'audace de vouloir faire chanter Mazarin par le biais de courriers volés ? François et Arnaud avaient du mal à y croire. Qu'avait-elle découvert qui expliquerait la tuerie de Mont Menat ? Qu'est-ce qui aurait pu pousser le cardinal à de telles extrémités, lui, homme mesuré répugnant à verser le sang ? Sans les lettres, aucune avancée ne paraissait concevable. Le pire pour François était de savoir le prélat en fuite, hors de portée. Comment aider Nolwenn dans ces conditions ? Était-elle seulement vivante ?
Simon, à leurs mines déconfites, comprit que les nouvelles n'étaient pas bonnes. En voyant pénétrer Javier de San Juan dans sa taverne, il reprit espoir, vite balayé par l'expression taciturne de l'hidalgo. L'Espagnol s'assit à côté d'Arnaud en baissant la tête : malgré ses recherches, il avait été impossible de dénicher Augustin, le valet de Violette, la seulepiste restant à leur disposition. Les quatre paires d'épaules affaissées offraient un bien lugubre tableau.
Simon décida de s'arracher à ce sombre spectacle en allant donner un coup de main à son fils qui rentrait les derniers tonneaux qu'on venait de leur livrer. L'humeur particulièrement guillerette de ce dernier l'interpella.
– Dis-moi, c'est de décharger plusieurs tonnes de fûts qui te met en joie comme cela ?
– Certainement pas, simplement voyez-vous ce soir je profite du divertissement.
Simon tourna la tête à la recherche de ce qui pouvait égayer son fils, s'attendant à tomber sur une demoiselle à demi vêtue pratiquant le plus vieux métier du monde, mais rien.
– Attendez, il va repasser, souffla le jeune sommelier en pointant du doigt une silhouette menue qui s'éloignait à petits pas. Ce ne sera que la troisième fois, reprit-il en riant.
Simon vit en effet le drôle de personnage réapparaître au bout de cinq minutes, le temps de faire le tour du pâté de maison. Il faut dire que son manège passait difficilement inaperçu : il marchait à courtes enjambées, accélérait sans raison apparente puis s'arrêtait subitement pour jeter des coups d'œil furtifs de part et d'autre… et repartir. Si son objectif était d'être discret, le chapeau à plumes, trop grand pour lui qui l'obligeait à en relever le bord pour ne pas heurter le mur, achevait de rendre cela inenvisageable. Réprimant son hilarité, Simon s'empressa de regagner l'intérieur et fila directement à la table des tristes sires.
– Chevalier, il y a le conseiller Broussel qui fait les cent pas dehors. Je crois qu'il vous cherche.
– Qu'il vienne nous rejoindre !
– Je ne suis pas sûr que cela soit dans ses projets immédiats, fit Simon en ne pouvant s'empêcher de pouffer, ce que François trouva déplacé.
Il changea d'avis lorsque, sortant de la taverne, il tomba nez à nez avec le frêle vieillard qui, pour avoir relevé trop tard son couvre-chef, le percuta violemment.
– Monsieur le Conseiller, vous allez bien ?
–
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