Le jeu de dupes

Chut, moins fort, vous allez ruiner tous mes efforts. Je suis là incognito, morigéna-t-il François à voix basse.
    Puis, énervé et perplexe, il haussa le ton :
    – Comment diable m'avez-vous identifié ?
    Le gentilhomme essaya de garder son sérieux. Célèbre parlementaire, héros du peuple dont l'arrestation par la régente avait causé la mise en place d'une multitude de barricades à travers la capitale, libre penseur aux idées républicaines, ennemi juré d'un Mazarin détesté, Broussel était connu et reconnu par tout Parisien digne de ce nom.
    – J'ai eu grand mal à le faire avec ce chapeau.
    – Ingénieux, n'est-ce pas ? Je peux voir sans être vu, répliqua l'audacieux se mettant in petto à faire une démonstration de son art du plié déplié.
    Sentant que ses zygomatiques ne resteraient plus très longtemps sous son contrôle, François pressa l'apprenti espion de se mettre à couvert à l'intérieur. Leur arrivée déclencha les fous rires irrépressibles de Simon et de son fils qui faisaient mine de s'affairer derrière le bar. François voulut présenterBroussel à Javier lorsque le petit homme l'interrompit sèchement :
    – Pas de nom, personne ne doit savoir que je me trouve avec vous. Je suis pour cela venu à pied depuis mon domicile…
    Appréciant le silence religieux qui accueillit sa révélation, bombant le torse, fier de son exploit, il grimpa sur une chaise et demanda à boire. Arnaud le servit volontiers.
    – J'ai des informations de la plus haute importance à vous confier…
    Le parlementaire ne put continuer. Au comptoir, Simon tentait de calmer un individu agité qui venait de débouler d'on ne sait où. L'apercevant, Broussel faillit tourner de l'œil.
    – Mon Dieu, c'est lui… Il me suit à la trace. Je croyais pourtant l'avoir semé, gémit-il.
    Comme pour confirmer ses propos, le gaillard, repérant leur table, se précipita vers eux tandis que sa main disparaissait sous sa camisole. Immédiatement les gentilshommes sortirent leurs épées. Arnaud passa devant Broussel et Belfond, François faisant face à l'assaillant pendant que Javier le prenait à revers. Le conseiller se mit à hurler à pleins poumons :
    – Capturez-le, capturez-le !
    Paniqué par ses cris, l'homme, pris en tenaille, tenta de s'échapper en montant à l'étage. Javier le rejoignit sur le palier en quelques foulées et baissa son arme en geste d'apaisement mais le colosse, mû par l'énergie du désespoir, l'assomma d'un seul coup de poing. En voulant éviter la riposte de François qui venait à la rescousse, le lascar perdit l'équilibre, fracassa de tout son poids la balustradeet tomba dans la salle sur la table sous laquelle s'étaient réfugiés le parlementaire et le professeur. François descendit l'escalier quatre à quatre avant qu'il ne puisse se relever pour se retrouver nez à nez avec un Broussel au bord de la crise d'apoplexie, chapeau aplati, persuadé que le géant venait de tenter de l'assassiner en l'écrasant de tout son poids.
    – C'est comme cela que vous me protégez ! Sacrebleu, on ne se bagarre pas ainsi sans se préoccuper de ce qui se passe en dessous ! vociféra-t-il, totalement outré, alpaguant énergiquement la manche du chevalier qui, stupéfait, tenta de rattraper leur assaillant tout en écartant le conseiller avec, puis sans ménagement.
    Le gaillard, que rien ne semblait pouvoir abattre, s'était déjà redressé et se taillait un chemin vers la sortie à coups de chaise brandie comme une hache, ce qui en dissuada plus d'un de se mettre en travers de sa route. Javier, ayant repris ses esprits, descendit en trombe en criant :
    – Basta ya, dejenlo por el amor de Dios 1  ! Messieurs, c'est le valet de Violette…
    Augustin qui, soulagé d'avoir réussi à trouver la taverne indiquée par Nolwenn, n'avait rien compris à l'accueil qu'il avait suscité, sentit qu'on allait enfin l'écouter et s'effondra à l'entrée de l'établissement où Simon et son fils l'attendaient, gourdin en main, à vrai dire ravis de ne pas avoir à en découdre avec un tel hercule.
    Malgré les vives protestations de Broussel, convaincu qu'on épargnait son assassin, les troisgentilshommes l'aidèrent à s'asseoir et lui servirent une chopine pour le remettre de ses émotions et entendre ce qu'il avait à dire.
    – Je cherche Monsieur de Rohan Montauban, parvint à articuler Augustin.
    – Vous l'avez devant vous, mon brave, confirma Javier. Vous savez qui je suis,