Le jeu de dupes
certainement desservi auprès d'une souveraine affairée à sauver l'héritage de son fils, dans l'obligation de faire des choix rapides aux conséquences graves et n'ayant guère le temps de se laisser aller comme lui aux lamentations et aux jérémiades. Le décalage entre eux ne cesse de croître et l'illustre conseiller qui se croyait indispensable connaît une amère désillusion. Le cardinal doit s'armer de patience s'il veut concrétiser son retour et cela lui est particulièrement difficile.
Soudain il se sent ridicule d'en être venu à briser de la vaisselle comme une rombière en mal d'amour. Giulio finit par se reprendre sous le regard compatissant de son ami.
– Je vous prie d'excuser une attitude indigne du soutien que vous m'apportez en toutescirconstances. Mais voyez-vous, je me dois de l'admettre, elle me manque…
Zongo Ondedei se contente de hocher la tête en silence sachant pertinemment que l'emportement de Mazarin masque mal une peine véritable à l'idée d'être rejeté par celle envers qui il éprouve des sentiments d'attachement réels.
– Le temps joue en votre faveur… Armez-vous de patience. Vos ennemis seraient trop heureux d'apprendre votre désarroi.
– Ceux-là ! Ils m'espionnent continuellement à l'affût de la moindre faiblesse… Vous avez raison, je ne leur donnerai point cette satisfaction. Ils veulent ma perte, eh bien je ne leur accorderai pas ce plaisir, je saurai venir à bout de leurs manigances.
Satisfait de voir Giulio reprendre du poil de la bête, Giuseppe lui tint compagnie pendant qu'il finissait son déjeuner et décida de retarder son départ. Les jours qui suivirent, il s'attacha à remonter le moral du cardinal qui s'améliorait progressivement avec le confort matériel et l'amitié retrouvés.
François, de son côté, ne prenait guère le temps de faire des repas convenables. Il voyageait de nuit, dormant à la belle étoile selon son habitude. Les premiers temps, il avait été très occupé à semer d'éventuels espions, multipliant les changements de direction, choisissant des chemins détournés, compliquant à l'envi son itinéraire pour finalement acquérir la certitude qu'il n'avait plus de poursuivant et que, s'il évitait les mauvaises rencontres, il pourrait prochainement délivrer son message.
Sur son passage, il ne pouvait s'empêcher de compatir au sort des miséreux dont la détressefaisait peine à voir : la population, essentiellement paysanne, loin des fastes et des intrigues de cour, souffrait terriblement. Dans les cimetières, de nombreuses tombes étaient encore fraîches et les faibles naissances n'arrivaient plus, loin s'en fallait, à compenser la multiplication des décès. Lorsque cela était possible, François faisait halte chez l'habitant pour se laver et se ravitailler, choisissant toujours une ferme isolée et partout il rencontrait les mêmes visages fermés. Malgré l'argent qu'il proposait, beaucoup n'avaient plus de tranche de pain ni de bol de soupe à offrir : la cherté du blé entraînait la famine et seuls les plus résistants survivaient. François n'avait pas besoin de parler leur patois dans un pays où le français demeurait peu usité pour percevoir leur détresse, son enfance de paysan breton le prédisposait à la partager et il comprenait la colère de ceux qui s'endettaient dans l'espoir de garder leurs terres au profit de riches bourgeois friands d'hypothèques et d'expropriations. Les intempéries associées aux épidémies, aux exactions des militaires et des mercenaires hors des champs de bataille décimaient les petites gens qui priaient avec ferveur dans l'espoir que les prochaines récoltes soient enfin bonnes. La Fronde était à mille lieues de leurs préoccupations et leur monarque paraissait insensible au malheur qui les frappait si durement.
François joignait ses prières aux leurs. Louis, ce futur roi prometteur, serait-il à la hauteur de son peuple qui avait perdu ses espérances ? Lui avait conservé les siennes intactes : retrouver celle qu'il aime, s'éloigner des intrigues du palais et regagner Mont Menat pour y vivre en toute quiétude enpartageant son bonheur avec les villageois et la bonne société des alentours. Pour lutter contre l'angoisse de ne jamais retrouver son épouse, il s'accroche à ses souvenirs, sourire aux lèvres, en se remémorant l'adolescente fière et pleine de vitalité qui osait défier l'autorité de son père pour le rejoindre, s'égosillant à
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