Le jeu de dupes
favori, toutefois il ne lui appartenait pas de détromper les espérances du cardinal d'autant plus qu'il le souhaitait le mieux disposé possible pour pouvoir aborder le véritable objet de sa visite.
Perdu dans des réflexions redevenues joyeuses, Giulio fut surpris de constater que François restait là, ne semblant pas disposé à prendre congé.
– Eh bien, Monsieur de Rohan Montauban, y a-t-il autre chose ?
– En effet Votre Excellence, je souhaite vous entretenir d'une affaire privée.
– Et de quelle affaire, je vous prie ?
– De la mise à sac de mon domaine de Mont Menat, de l'enlèvement de mon épouse et du meurtre de sa cousine Violette de Goyon.
François eut-il annoncé à Mazarin qu'il pouvait transmuter le plomb en or que le cher homme n'eut pas paru plus interloqué.
– Vous me voyez fâché que de tels malheurs vous touchent, cependant je ne vois vraiment pas en quoi je suis concerné.
François décida d'aller droit au but, on n'était plus à la cour et il n'avait pas le temps de jouer au chat et à la souris.
– Certains documents laissent soupçonner que vous y êtes au contraire intimement lié, d'autant qu'un individu connu pour être l'un de vos agents, surnommé le Crochu, est mêlé à l'histoire.
– Vous êtes mal renseigné, l'énergumène en question ne fait plus partie de mes gens. Il employait des méthodes par trop expéditives et jem'en suis séparé sans regret il y a de cela plus d'un an.
– Votre Éminence, je vais être clair : ma compagne est étrangère à tout chantage qui pourrait vous toucher, aussi je vous demande d'agir pour qu'elle me revienne.
– Alors là, vous me voyez désolé de ne rien comprendre à votre demande.
François, s'efforçant de rester calme, lui expliqua le décodage des lettres et l'horrible atteinte à l'honneur de la reine ainsi qu'à la qualité du jeune roi qu'elles contenaient.
– Ces documents sont une totale aberration et vaudraient, il est vrai, bien des désagréments à leur auteur pour leur caractère injurieux, toutefois en aucun cas pour la pseudo-réalité censée y être dévoilée, s'emporta le cardinal, outré. Notre suzeraine n'a pas eu plus pour Richelieu qu'un comportement de galanterie usuel et son ministre celui d'une politesse appuyée. Je vous garantis qu'elle s'appliquait à dissimuler l'aversion profonde qu'il lui suscitait et pour rien au monde elle ne se serait abaissée à entretenir avec ce dangereux personnage plus qu'une relation forcée de bonne entente, accord de façade nécessaire pour surmonter ses persécutions et l'espionnage permanent qu'il lui a imposé pendant de longues années… De la part de mon prédécesseur un tel procédé ne m'aurait pas étonné seulement je connais ma reine, jamais elle ne s'y serait pliée.
Giulio prit sa canne pour faire quelques pas, réfléchissant tout haut.
– D'autant que vous n'avez pas côtoyé Louis XIII… C'était un être particulièrementsoupçonneux qui faisait étroitement surveiller son épouse et il n'aurait pas hésité à prendre des mesures extrêmes au moindre doute.
François dut se rendre à l'évidence : son interlocuteur était sincère.
– Dans ce cas, pourquoi ces lettres ? Et qui est derrière l'attaque de mon domaine ?
– Difficile à dire… Voyez-vous, ce qui m'inquiète dans votre histoire, c'est que l'on s'est donné beaucoup de mal pour vous aiguiller vers moi et que l'auteur de ces billets n'ignorait pas le codage secret que j'utilisais. Nous n'avons donc pas affaire à n'importe qui… Il vous faut découvrir qui a intérêt à vous lancer ainsi sur une fausse piste. La demoiselle de Goyon dont vous m'avez parlé était à la solde d'un maître exigeant et cruel. C'est à lui que vous devez demander des comptes. D'ici je ne vous suis d'aucune utilité et je le regrette… Retrouvez le Crochu et vous aurez vos réponses.
François comprit qu'on venait de le congédier et s'inclina devant le cardinal qui réfléchissait déjà au courrier qu'il allait rédiger pour sa bienfaitrice, fredonnant un petit air joyeux, s'imaginant de retour sous les ors de la salle du conseil du Palais-Royal.
Notre gentilhomme décida de repartir après avoir pris un léger repos. Les mêmes sempiternelles interrogations s'entrechoquaient dans son esprit, l'empêchant de trouver le répit. De qui était-il le jouet ? Nolwenn n'était qu'un pion destiné à se voir sacrifier dans une partie d'échecs dont il ne connaissait pas les
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