Le jeu de dupes
François.
Déjà loin, Malo continuait sa course sans se retourner. Il savait que sa conduite serait lourdement réprimandée et qu'il n'échapperait pas au fouet mais il s'en moquait. La seule chose qui lui importait était de retrouver Nolwenn et la présence de Lénora signifiait qu'elle avait des informations importantes à lui communiquer comme elle l'avait promis lors de sa dernière permission. Tous deux couraient à perdre haleine, main dans la main, heureux d'être ensemble. La jeune fille, bifurquant brusquement dans une traverse déserte, poussa Malo sous un porche avant de l'embrasser avec gourmandise.
– Doucement ma mie, je vais mourir étouffé sous tes baisers si cela continue, réussit à murmurer l'éphèbe entre deux bécots.
– Ne serait-ce pas un sort enviable, mon amoureux ?
Malo écarta doucement l'adolescente pour pouvoir l'observer à loisir. Comment résister à cette beauté sauvage : des lèvres pulpeuses, un petit nez mutin, un regard noisette mis en valeur par d'épais sourcils bien dessinés aussi noirs que sa chevelure bouclée contrastant avec une peau dorée révélant ses origines espagnoles… Et comment refuser les élans charnels dénués de toute retenue de son doux corps merveilleusement proportionné ? Quand elle se plaqua de nouveau contre son aine, Malo ne put lutter, et, tout en l'embrassant à pleine bouche, il passa une main sous son caraco pour découvrir deux seins menus aux pointes dressées. Sentant qu'il n'arriverait pas à se contrôler s'ils poursuivaient ainsi, il la repoussa vigoureusement.
– Lénora, pas ici, pas maintenant.
– Mon cœur, tu devrais profiter de ce qui s'offre à toi, moi en l'occurrence, dit en riant la belle d'à peine quinze printemps, néanmoins expérimentée, fidèle à ceux qui jouissent pleinement de l'instant présent, n'ayant nulle certitude qu'il y en aura d'autres.
C'est cela qui fascinait tout particulièrement Malo, cet appétit de vivre insatiable, sans pudeur ni retenue. La première fois qu'il avait aperçu Lénora, elle dansait sur un parvis, divertissant le bourgeois en échange de piécettes. Soulevant ses jupons, virevoltant avec grâce et hardiesse, la charmeuse savait ralentir le rythme pour des figures plus langoureusesqui outraient les dames et rendaient ces messieurs d'autant plus aptes à fouiller dans leurs bourses garnies pour faire voler leur monnaie vers l'envoûtante gitane. Malo rentrait ce jour-là dans son établissement militaire après avoir passé le dimanche à l'hôtel Bessières où Louise et Arnaud l'accueillaient toujours avec chaleur sans toutefois parvenir à lui faire oublier l'éloignement d'avec Nolwenn et François partis vivre à Mont Menat.
– Tu as ici une chance de t'instruire que tu n'auras nulle part ailleurs, avait martelé ce dernier. Grâce aux appuis de ma famille tu peux te mêler aux fils de la bonne société et apprendre le métier des armes qui t'assurera un avenir. Pour un orphelin sans naissance c'est une chance inouïe. Si tu ne la saisis pas tu le regretteras. L'éloignement géographique n'est pas celui du cœur, nous correspondrons régulièrement et tu verras, l'année passera vite !
L'adolescent savait que son cousin avait raison : l'obscur petit paysan avait vu sa destinée transformée par la bonne fortune de François et tenait à s'en montrer digne. De plus la carrière militaire ne lui déplaisait pas, au contraire. Mais il n'était pas facile de s'habituer aux dortoirs et couloirs glacés du lycée où son origine modeste le mettait à part, même s'il avait noué quelques amitiés avec des enfants de nobles familles souvent désargentées qui n'avaient que la carrière des armes pour faire leur chemin.
Cependant l'absence des siens lui pesait et le vide affectif ressenti avait favorisé son coup de foudre pour Lénora. La beauté et la vitalité de la danseuse l'avaient subjugué dès cette première rencontre etquand elle l'avait frôlé pour dérober sa bourse, il était resté bras ballants, comme ensorcelé par la charmeuse qui, amusée, décida d'offrir une pâtisserie au benêt avec le montant de son larcin, attention qui l'avait étonné et ravi, heureux d'être l'objet des faveurs d'une telle apparition. Depuis, dès qu'il le pouvait, il la rejoignait, avide des caresses qu'elle prodiguait sans compter et de l'écoute qu'elle lui accordait, lui permettant d'évoquer son enfance bretonne, ses parents décédés, Marie sa mère adoptive,
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