Le jeu de dupes
François… Lorsqu'il avait confié les malheurs qui frappaient sa famille, la bohémienne lui avait offert un réconfort sans pareil et la promesse de laisser traîner ses oreilles dans le cas où le Crochu, habitué de la faune nocturne parisienne, se décidait à réapparaître. Si cela se produisait, elle devait se poster enveloppée d'une cape colorée devant sa salle d'études.
– Lénora, si tu étais là ce soir c'est que tu as du nouveau. Qu'as-tu appris ?
Membre du royaume d'Argot, la fameuse cour des miracles, elle en connaissait toutes les créatures. Cette entité constituée d'emplacements disséminés dans toute la capitale avait pour repaire principal un ensemble de ruelles, labyrinthe boueux et pestilentiel, menant à une place cachée inaccessible aux profanes et où les sergents du guet ne songeaient pas à se risquer. Lénora était orpheline : elle et son petit frère Enzo, âgé de dix ans, étaient des enfants de la rue parlant le blesquin, le jargon des gueux, n'acceptant qu'une seule autorité : celle de leur roi et des cagous, ses capitaines qui régentaient l'univers de tous les bohémiens en une hiérarchie secrète extrêmement structurée.
Chaque soir, après de longues heures passées à mendier, à détrousser, à se faire passer pour paralytiques, malades, estropiés… ces escrocs de tous bords se retrouvaient autour de grands feux de bois et faisaient ripaille en dansant jusqu'à l'étourdissement, heureux de dégourdir leurs muscles endoloris par les postures d'invalides prises le jour pour flouer les passants. Dans cette faune paillarde, seul comptait le plaisir immédiat et on n'arrêtait de guincher qu'à épuisement total ou pour entremêler son corps à ceux des autres.
Quand Lénora avait révélé à Malo le secret des marchés de places où chacun à tour de rôle, contre redevance, exerçait son art, le garçon était tombé des nues. Elle lui avait divulgué l'art du sabouleux qui mâche du savon pour le recracher en magma bulleux et se fait saigner du nez pour simuler le haut mal, les onguents pour imiter les ulcères tout comme les peaux de grenouille collées sur les membres avec du blanc d'œuf pour contrefaire la putréfaction et toutes les escroqueries bonnes à faire cracher au bassinet le bourgeois benêt. Vente d'illusoires reliques, fallacieuses collectes censées être utilisées pour le rachat d'otages chrétiens aux pirates barbaresques, faux miraculés… l'éventail était large. Lénora était d'ailleurs une pickpocket de talent dressée depuis le plus jeune âge au vol à la tire. Malo ne savait pas pourquoi elle l'avait choisi mais s'en moquait, se réjouissant simplement d'être l'élu de la demoiselle et son confident, partageant les secrets de sa caste de canailles, crime de lèse-majesté chez les truands. En vérité, Lénora était tombée amoureuse pour la première fois et elle espérait que Malo leur permettrait de sortir de cemilieu en les libérant, elle et son frère, d'une confrérie cruelle qu'elle n'avait pas choisie et qu'elle abhorrait depuis qu'elle avait appris, en surprenant une conversation, qu'elle et son cadet avaient été enlevés à leurs parents afin de venir grossir le rang des orphelins qui tendaient la main à la sortie des églises. Lénora avait toujours cru être une fille des rues et devoir être redevable envers ceux qui les avaient recueillis, acceptant la fatalité d'appartenir à cette société parallèle et les règles impitoyables qui la régissaient puisque c'était son destin. Découvrir qu'on les avait en réalité arrachés à leur véritable famille pour les exploiter avait bouleversé sa vision du monde. Dissimulant sa rage, elle cherchait un moyen de s'échapper, cachant une partie de ses larcins destinée au paiement du tribut donné à leur roi, être informe dont elle avait dû subir les assauts sans broncher comme tout joli minois de sa cour, ce qui avait sonné le glas de son enfance et engendré sa haine.
Malo avait promis que si elle l'aidait à retrouver Nolwenn, François de Rohan Montauban ferait d'elle une fille libre, aussi ne ménageait-elle pas ses efforts. Et ça y était, elle avait trouvé la trace du fameux Crochu, originaire comme elle des territoires sombres et puants de la porte Saint-Denis, qui aimait y retourner entre ses missions de mercenaire à la solde du plus offrant. Elle décocha un sourire éclatant à son soupirant qui, devant son air satisfait, se mit à la
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