Le jeu de dupes
Crochu. L'adolescent sentit la panique le gagner, un coup d'œil à Lénora lui permit de se reprendre : la gitane, très pâle, arpentait la venelle adjacente à la recherche des gamins, chaque pavé franchi accroissant son inquiétude. Arrivée à un carrefour, elle s'arrêta ne sachant où porter ses pas. Malo la rejoignit se mettant également à scruter les ténèbres. Tout à coup il tressaillit en distinguant au sol une mince silhouette : un enfant gisait dans la rigole centrale qui charriait de multiples immondices. Le clair de lune permettait de distinguer une blessure sur son crâne ensanglanté ainsi que sur son moignon.
– Fifi ! s'écria Lénora en courant se mettre à genoux pour serrer le garçonnet contre elle.
L'enfant entrouvrit les paupières avec peine. Malo sentit son cœur s'emplir de compassion pour ce petit corps martyrisé sciemment, comme l'avait révélé la fille des rues, pour attirer la pitié des passants. À eux deux ils arrivèrent à le remettre sur pied.
– Fifi, où est Enzo ? Que s'est-il passé ?
– Le Crochu, il nous a remarqués en sortant de la taverne. Il nous a attrapés et il a dit au seigneur qui l'accompagnait qu'on le collait depuis le matin. L'homme a demandé à Enzo si c'était vrai et il a nié. Le Crochu a eu beau le frapper, il a rien déballé. Moi j'avais trop la trouille, j'ai tout balancé.
– Quoi ? interrogea l'inquiète dont le visage était devenu couleur de cendre.
– Que c'était toi qui nous avais demandé de les suivre et que tu travaillais pour lui, fit le gosse en désignant Malo.
– Tu ne me connais pas, s'étonna ce dernier.
– Si, dit le gamin tout penaud, on a suivi Lénora une fois. Enzo, il était jaloux, il voulait savoir qui t'étais. On t'a repéré devant le lycée. On ignorait ton nom mais on a eu par la logeuse celui d'un de tes profs : Belfond, avec qui on t'a vu le lendemain…
Fifi, hoquetant, n'osait poursuivre.
– Continue, l'invectiva Lénora en le bousculant.
– Le Crochu, il m'a foutu une trempe, cria-t-il. Enzo, il a réussi à lui donner un coup d'arpion et s'est échappé. L'homme l'a épinglé dans le cul-de-sac, là-bas. Enzo s'est débattu et je crois qu'il a arraché son masque. Le Crochu était aussi furieuxque l'autre et il m'a tapé dessus. Il m'a envoyé valser ici. J'ai joué le mort… Son maître est revenu et ils sont partis sur leurs bourrins. Et là je suis tombé dans les pommes…
– Et mon frère ?
Fifi se mit à pleurer de plus belle en pointant du doigt l'impasse sur sa droite. Lénora s'y précipita. Malo aidait le petit manchot à se relever lorsque des hurlements le figèrent sur place. Jamais il n'avait entendu de tels sons provenir d'une gorge humaine. Fifi se cramponna à lui. Malo réussit à se dégager avec douceur et, jambes tremblantes, il rejoignit l'éplorée.
La jeune fille se martelait la poitrine à grands coups de poing, à genoux devant le cadavre d'un garçonnet qui semblait dormir paisiblement au milieu d'une mare de sang. On lui avait transpercé le cœur d'un coup d'épée. Lentement, elle le prit dans ses bras en le berçant comme un bébé puis elle le pressa de toutes ses forces contre elle et émit un son rauque, atroce.
L'adolescent tenta tant bien que mal de serrer Lénora contre son épaule. Elle le repoussa rudement. Ses plaintes attirèrent plusieurs silhouettes qui sortirent peu à peu de l'ombre pour les entourer. Malo comprit avec effroi qu'il avait totalement perdu le contrôle de la situation et l'allure de ceux qui approchaient le figea sur place.
10
Début mai 1651
François passa la porte d'Orléans avec plaisir, heureux de se faire presser, malmener par la cohue parisienne, retrouvant avec contentement la sensation de se perdre au milieu de la foule. Rejoindre la capitale, après son entrevue avec le cardinal Mazarin, s'était révélé une mission difficile : les espions qu'il avait réussi à semer à l'aller étaient décidés à l'intercepter au retour, soucieux d'empêcher la missive remise par l'exilé de parvenir entre les mains de la régente. François avait dû multiplier les fausses pistes pour finir par se dissimuler quelques jours dans la forêt afin d'avoir une chance de rentrer sans encombre.
L'obligation d'échapper aux hommes lancés à sa poursuite n'avait été qu'un des obstacles rencontrés pour rallier Paris car les routes de France s'étaient avérées plus impraticables que durant son trajet depuis Mont
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