Le jeu de dupes
Menat. La guerre civile atteignait en effet un degré d'horreur insoutenable : les soldats des différentes factions se comportaient en égorgeurs, volant, violant et massacrant la population. Croiser leur chemin signait votre arrêt de mort. Comme si cela ne suffisait pas, la famine s'étaitétendue, décimant les paysans déjà fragilisés et maintes fois il avait traversé des villages fantômes, dévastés, désertés, où même avec une bourse remplie il n'avait pu acheter du pain ou des vivres. Un soir, pour se réchauffer, il s'était obligé à avaler une soupe constituée avec les moyens du bord : des racines et des écorces agrémentées de radis trouvés dans un champ. La conjoncture en Ile-de-France était particulièrement préoccupante. François avait découvert le long des routes des cadavres laissés à l'abandon pourrissant à l'air libre, sans que quiconque ne songe à leur donner une sépulture décente, attirant les charognards et les loups enhardis par la faim qui n'hésitaient plus à s'approcher des bourgs et à pénétrer dans les logements. Partout, des malheureux essayaient d'échapper aux tueries, à la misère et aux maladies, traînant leurs silhouettes faméliques à la recherche d'un improbable refuge.
François avait rencontré dans la matinée une femme sans âge menant en file indienne une dizaine de gamins épuisés, elle était l'unique adulte rescapée d'un raid de mercenaires et avait réuni les enfants survivants de son village avec l'espoir de gagner le couvent où sa sœur officiait. Il les avait escortés avant d'offrir le contenu de sa bourse et il n'oublierait pas son visage crispé, tellement fatigué qu'elle n'arrivait plus à sourire, se concentrant sur son unique objectif : atteindre la porte du monastère où elle trouverait le salut. Les malheureux étaient arrivés à bon port mais combien d'autres erraient encore ? Fourbu et affamé, le gentilhomme voulait oublier toute cette misère et tentait de savourer son entrée dans la capitale, laissant samonture choisir le trajet qui les ramènerait à l'hôtel Bessières.
Arrivé dans la cour pavée, il n'était pas encore descendu de cheval que Gervais se précipitait pour l'aider, manifestant un soulagement à la hauteur du souci qui l'avait rongé en l'absence de son maître.
– Ha, Gervais ! fit François avec enthousiasme, quel plaisir de rentrer chez soi !
Le valet ne répondit pas et se contenta de hocher la tête. François comprit immédiatement qu'un épisode fâcheux s'était produit au cours de ses pérégrinations.
– Parle, qu'est-il arrivé ?
Son domestique fut tiré de l'embarras par l'apparition d'Arnaud sur le perron, désireux d'accueillir son beau-frère et de l'informer en personne de la situation.
– Viens, François, rentrons. Je suis heureux que tu sois de retour et d'être là pour te recevoir. Tu vas te restaurer et faire un brin de toilette pendant que nous discuterons.
Notre gentilhomme se raidit refusant de se laisser amadouer :
– Dis-moi plutôt ce qu'il en est. C'est Nolwenn, on sait quelque chose…
– Hélas, non ! Je vais tout t'expliquer, allons parler à l'intérieur…
Louise descendait l'escalier principal lorsqu'elle aperçut son frère.
– François, oh François, je suis si soulagée de vous voir sain et sauf !
Sans se soucier des vêtements couverts de poussière et de boue portés par son cadet, elle le serra contre son cœur et l'embrassa, puis elle donna desordres pour qu'on remplisse une cuve d'eau chaude dans la cuisine et laissa les deux hommes converser, bientôt rejoints par Belfond qui était en train de disputer une partie d'échecs avec Arnaud à l'arrivée du voyageur. Le professeur le salua puis se tint en arrière, lissant nerveusement ses moustaches.
François, en chemise, se glissa dans le bain et on installa une planche sur la cuve afin qu'il puisse se restaurer d'un civet de marcassin agrémenté d'un vin rouge capiteux. Il devina qu'on le laissait reprendre des forces pour être à même d'affronter de mauvaises nouvelles. Arnaud s'éclaircit la gorge et se lança :
– Ne t'inquiète pas, ce n'est pas si grave. Tu nous avais demandé de garder un œil sur Malo durant ton absence ; malheureusement cette tête de mule a échappé à notre surveillance et nous l'avons récupéré il y a deux jours en piteux état.
– Il est grièvement blessé ?
– De simples contusions liées à un vigoureux passage à tabac… Il est de
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