Le jeu de dupes

elle comprit que l'ordre ne souffrait aucune discussion et elle partit rejoindre Belfond, laissant les deux cousins face à face. Malo se ratatina sur son lit en détournant le regard.
    – Ah ! pas de ça avec moi mon petit bonhomme, rugit François. D'après ce que je sais, cela fait plusieurs jours que tu te complais dans ce mutisme de vierge effarouchée et cela a assez duré. Si tu es assez grand pour désobéir à mes directives et agir à ta guise, tu l'es tout autant pour me rendre des comptes et me dire exactement de quoi il retourne. Si tu as la moindre information concernant ma femme, tu me le dis séance tenante !
    Malo se redressa comme si on l'avait giflé. Tout à coup il eut honte de s'être laissé dorloter à la manière d'un enfant, il était temps qu'il ose affronter la colère de celui qu'il avait trahi.
    – J'ai voulu t'aider…
    François se retint de répondre que l'enfer était pavé de bonnes intentions et se contenta de l'inciter à continuer d'un geste sec de la main.
    – J'ai rencontré une jeune fille, Lénora, qui vivait à la cour des miracles. Elle et son petit frère Enzo voulaient s'en extirper et j'ai promis de les aider. Elle connaissait la sœur du Crochu et l'a surveillée jusqu'à retrouver sa piste. Elle est venue m'en avertir et j'y suis allé, je pensais…
    – Tu pensais pouvoir à toi tout seul te mesurer à un mercenaire sans scrupule responsable de nombreux meurtres et de l'enlèvement de Nolwenn, s'exclama François qui se força à respirer lentement pour endiguer le flot de colère qui le submergeait.
    – Je sais, j'ai été stupide, répondit l'adolescent d'une voix sourde, crispé sur le bord du lit. Le jeune frère de Lénora a payé ma bêtise de sa vie ! Le commanditaire du Crochu l'a surpris et l'a tué pour qu'il ne puisse pas l'identifier. Quant à Lénora…
    Malo n'arrivait plus à continuer, tellement il tentait de maîtriser les sanglots qui le terrassaient. Sous le regard peu amène de François, il se mordit la langue jusqu'au sang puis lâcha :
    – Elle est certainement morte par ma faute à l'heure qu'il est. À la découverte du corps du gamin, toute la racaille du quartier s'est amassée. Lénora était hystérique, elle hurlait son chagrin sans se soucier de cette foule. On nous a traînés devant l'undes cagous qui dirige ce territoire. Lorsqu'il a appris que Lénora avait aidé un non-initié pour retrouver l'un des leurs, il était résolu à me tuer. Elle s'y est opposée, prenant tout sur elle, s'offrant en victime expiatoire pour me sauver. Ils l'ont emmenée sous mes yeux, je n'ai rien pu faire. Ils lui ont passé une corde autour du cou, certains voulaient la pendre immédiatement mais les autres exigeaient qu'elle meure devant leur roi. J'ai essayé de les arrêter, j'ai essayé…, répéta Malo sans se rendre compte que les larmes inondaient son visage.
    Les images qui le hantaient ces derniers jours resurgirent en kaléidoscope : comment oublier l'expression vide de Lénora tandis qu'on la traînait à même le sol comme un animal mené à l'abattoir, les coups, les crachats sur son frêle corps martyrisé et la haine exsudée par cette meute surexcitée ?… De quelle manière pourrait-il effacer de sa mémoire son incapacité à réagir, sa totale impuissance à la sauver ?… Le garçon essuya ses joues en un geste sec puis se força à continuer.
    – À moi ils se sont contentés de mettre une raclée avant de me déposer à l'extérieur de leur secteur. Le pire, conclut Malo, c'est qu'ils ont su qui j'étais… J'avais été suivi jusqu'à mon lycée.
    Le gentilhomme serra les poings.
    – Tu es en train de me dire que par ta faute le Crochu sait que je suis sur ses traces et que tu t'es rendu responsable de la mort d'une jeune fille et d'un enfant, intervint François d'une voix atone.
    – Oui, murmura le coupable dans un souffle.
    François se dirigea vers la fenêtre et serra le rebord en pierre de toutes ses forces pour résister àl'envie de frapper le garçon. L'espoir de délivrer Nolwenn grâce à cet homme, le seul dont il connaisse l'identité, se retrouvait pulvérisé. La fureur en son for intérieur se mêlait à la souffrance insupportable de savoir Nolwenn quelque part, à la merci de cette brute sans qu'il puisse lui venir en aide, avec l'angoisse effrayante qu'elle soit déjà morte, seule, se sentant abandonnée par les siens. Il resta de longues minutes figé tentant d'apaiser le tumulte de ses