Le jeu de dupes
l'émergence d'une volonté de faire mal qu'il ne se connaissait pas. Il la gifla à toute volée, ce qui la ravit, et elle lui bondit dessus, cherchant à le marquer d'une estafilade avec un poignard qu'elle avait sorti de sous un des poufs colorés. François l'envoya valser d'une main, la saisissant par les cheveux de l'autre, l'obligeant à subir descoups de reins comme jamais il n'en avait infligé auparavant. L'échange les laissa tous deux hors d'haleine, ruisselants de sueur devant le feu.
Mizgin se releva la première avec une aisance féline pour reprendre sa robe restée à terre.
– Tu peux partir, nous sommes quittes…
François ne répondit pas. Il avait du mal à accepter la scène qu'il venait de vivre, se trouvant honteux de ce qu'elle avait provoqué en lui, embarras d'autant plus grand qu'il avait ressenti une intense jouissance ignorée jusqu'alors, lui permettant la satisfaction d'appétits dont il ne soupçonnait pas l'existence et qu'il lui déplaisait d'éprouver. Il se rhabilla sous le regard moqueur de son hôtesse que son désarroi amusait puis la salua avant de se diriger vers la porte qui s'ouvrit à peine touchée révélant l'expression sibylline de l'eunuque qui, d'un geste, lui désigna le chemin de la sortie. Gervais l'y attendait. Devant la mine de son maître il n'émit aucun son, préférant ne pas savoir, résolu à ne jamais revenir dans l'antre de celle qu'il considérait être une sorcière. François guida mécaniquement sa monture vers l'hôtel Bessières, tentant de chasser la culpabilité qui l'assaillait, la honte d'avoir trompé son épouse enlevée se le disputant au dégoût de s'être comporté en animal, amer de constater y avoir pris un plaisir effréné. Gervais s'effraya de le voir passer par le Pont-Neuf, lieu à contourner de nuit si l'on voulait éviter les attaques de la canaille, mais par chance ils ne croisèrent pas âme qui vive, à son grand soulagement, pas à celui de son maître qui manifestement rêvait d'en découdre.
1 Membre de la dynastie régnant en Iran à cette époque.
12
Mi-mai 1651
La lumière du soleil levant pointait à peine à l'horizon qu'on s'affairait déjà à la tâche dans une des ruelles débouchant sur le parvis de Notre-Dame. Sur des planches posées à même le sol s'étalaient une multitude de feuillets tout juste sortis de l'imprimerie et plusieurs hommes s'activaient afin de les glisser en grosses liasses dans de solides sacoches en cuir qu'on remettait ensuite à la file constituée d'une cinquantaine de colporteurs. Plus loin une troupe de vigoureux gaillards, gourdin à la ceinture, patientaient en plaisantant, chargés de les escorter pour leur permettre de propager sans être inquiétés leurs pamphlets dans les artères de la capitale.
Un coup de vent subit surprit un des commis à la distribution et, malgré son geste rapide de la main en direction des piles d'écrits, il ne fut pas assez prompt pour empêcher l'envol d'une des premières copies qui, peu à peu, entraînée par la bourrasque, prit de l'altitude pour aller disparaître derrière la cheminée d'une habitation toute proche. Arnaud de Saldagne, dissimulé de l'autre côté du toit en compagnie de François, la reçut en pleinefigure, ce qui provoqua son hilarité, vite refrénée pour éviter de se faire repérer. Il retourna la page et chuchota :
– « Défense de l'ancienne et légitime Fronde »… Voici donc le résultat de la retraite de notre ami le coadjuteur, dit-il en lisant les premières lignes du libelle. Cela m'a l'air d'une attaque en règle contre Condé !
– Tu vois vraiment Gondi se rallier à la reine ? murmura son compagnon en se rapprochant pour parcourir à son tour le document, prenant mille précautions pour ne pas déplacer les ardoises où il prenait appui.
– Avec cet animal-là il est bien difficile de savoir en faveur de qui il va retourner sa veste… mais je pense qu'il n'a pas réellement le choix. Le clan Condé a exercé de telles pressions sur Gaston d'Orléans qu'il sait pertinemment qu'il ne peut plus compter sur son protecteur surtout lorsque ce dernier est affecté d'une telle faiblesse de caractère. Je crois qu'il a préféré prendre congé de Monsieur avant d'être trahi et qu'il s'est réfugié dans son cloître pour échapper à ses adversaires, à raison : c'est une véritable place forte. Regarde, cela fait trois jours que nous essayons sans succès de percer ses défenses.
– Par
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