Le jeu de dupes
contre ce matin nous nous lançons coûte que coûte, conclut François dont l'envie de se battre se trouvait décuplée par cette attente forcée.
Depuis son entrevue avec Mizgin, le gentilhomme n'avait qu'un désir : croiser le fer et il aurait immédiatement débusqué Gondi dans sa retraite s'il l'avait pu. Naïvement, il imaginait se faufiler entre les mailles du filet et berner la vigilance de ceux quiassuraient la sécurité du coadjuteur. Il s'était donc rendu sur place, à Notre-Dame, avec Gervais pour seule couverture et là il avait été désagréablement surpris en constatant qu'il avait sous-estimé l'efficacité du dispositif mis en place pour protéger le couvent de toute intrusion extérieure. Le baron d'Annery, ami intime de Gondi, l'avait rejoint avec plusieurs chevaliers pour servir de garde rapprochée dans le cloître. Il ne fallait pas espérer en franchir la porte car tous les colonels et capitaines du quartier, chèrement rétribués par Gondi, en surveillaient attentivement les allées et venues, prêts à donner le signal en cas d'intervention inamicale à la cinquantaine d'officiers écossais menés par le comte de Craffort, nouvel allié du coadjuteur, qu'il avait habilement logé à ses frais chez l'habitant tout le long de la rue Neuve. Même les rares sorties de nuit de Gondi pour se rendre à l'hôtel Chevreuse étaient imprévisibles et toujours effectuées en compagnie de Malclerc, son fidèle écuyer, et d'une troupe de gardes armés.
François se vit donc dans l'obligation de demander l'aide d'Arnaud qui se montra très enthousiaste à apporter son appui, ravi de pouvoir se confronter aux spadassins qui l'avaient séquestré à Noisy et lui avaient infligé une blessure d'amour-propre plus cuisante que celle reçue à l'épaule. Ils avaient donc convenu de maintenir une surveillance discrète autour du refuge de l'ecclésiastique afin de pouvoir au moment opportun provoquer un face-à-face. Et l'occasion était arrivée : Gondi finissait de se préparer, ayant programmé de se rendre au Palais-Royal un peu plus tard pour narguer Condé qu'il étrillait dans ses écrits, dès que leTout-Paris en aurait eu la primeur. Rassuré par ses espions chargés de surveiller étroitement le clan adverse, il se croyait à l'abri, n'ayant pas envisagé que le coup puisse venir d'ailleurs et encore moins qu'il résulte du désir de vengeance d'une ancienne maîtresse.
Arnaud avait positionné ses hommes déguisés en mendiants au bout du parvis, prêts à intervenir en cas de nécessité, tandis qu'accompagné de François ils avaient prévu de s'introduire dans le cloître par les toits à la faveur d'une diversion savamment orchestrée. À l'heure dite, au rez-de-chaussée, dans les cuisines du couvent, résonnèrent les appels d'une servante grassement rémunérée pour crier au feu après qu'un complice eut versé dans le foyer d'une des cheminées une substance provoquant immédiatement une fumée noire et abondante. Branle-bas de combat général : tous les chevaliers descendirent voir ce qu'il en était. Seul Malclerc resta en faction auprès de son maître qui terminait de s'habiller.
Lorsqu'il perçut un choc sourd provenant de la toiture suivi d'un bruit de verre brisé tout proche, il sortit immédiatement son épée de son fourreau devinant que l'alerte incendie n'était qu'une ruse. Gondi pâlit et s'arma rapidement : Condé avait-il décidé de le faire assassiner en plein cloître ? Il n'arrivait pas à y croire, cependant il fit courageusement face à l'adversaire. Son étonnement fut à son comble quand il reconnut, avec difficulté étant très myope, le baron de Saldagne en train d'échanger les premières bottes avec son écuyer suivi de près par le chevalier de Rohan Montauban. La reine était-elle à l'initiative de ce traquenard ?
Le prélat essaya d'avertir ses serviteurs du subterfuge mais il régnait en bas un désordre indescriptible rendant inaudibles ses tentatives d'autant que François le forçait par ses assauts à se replier dans sa chambre. Menaçant le coadjuteur de son arme, il lui ordonna de rappeler son écuyer, ce qu'il fit de bon gré dans l'espoir de mettre fin à cette attaque déconcertante de la part de fidèles de la régente.
– Messieurs, tout cela est ridicule, je suis comme vous un dévoué partisan de Sa Majesté et je m'insurge contre votre irruption armée en ces murs, s'exclama-t-il en apostrophant les deux gentilshommes.
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