Le jeu de dupes

Son Altesse n'est pour rien dans notre intervention. Voyez-y plutôt une revanche personnelle, dit le baron tout sourire en maintenant sa position de défense face à Malclerc.
    – Par tous les saints, vous ne pouvez agir ainsi à cause de cette malheureuse affaire de Noisy qui était un simple malentendu, s'étonna Gondi, complètement éberlué.
    – Un simple malentendu qui a failli me coûter la vie sans l'intervention d'un proche, rétorqua Arnaud.
    – Je conçois que mes hommes y soient allés un peu fort, transigea son interlocuteur. Ils devaient vous libérer à l'issue de la réunion et en aucun cas vous blesser.
    – Fort bien, excuses acceptées, s'exclama le baron en rengainant son arme sous l'œil ébahi de l'écuyer et de son maître. Je vous ai prouvé que vous êtes à portée de ma lame et cela suffit à restaurer mon honneur. En réalité nous sommes ici pour une tout autre affaire…
    Il ne put continuer car les chevaliers, ayant compris la mystification, venaient de remonter les escaliers en nombre et d'ouvrir la porte avec fracas, prêts à fondre sur ceux qui avaient osé les duper. Arnaud se contenta de les observer sans broncher. Ce fut François qui rompit le silence.
    – J'ai à vous entretenir d'un duel ayant eu lieu un certain soir de novembre dans les bois de Versailles, se contenta-t-il d'énoncer.
    Gondi se passa la main sur le visage, sidéré par ses propos. Il avait envisagé cette journée comme celle de son triomphe sur Condé et déchantait notablement : que voulaient donc ces deux oiseaux-là, sortis d'on ne sait où, pour déterrer cette sombre affaire qu'il pensait derrière lui et souhaitait par-dessus tout oublier ?
    – Mes amis vous pouvez redescendre, je vais recevoir en particulier ce… visiteur.
    La troupe de chevaliers semblait indécise sur la conduite à tenir.
    – Je vous assure, insista Gondi, tout va pour le mieux.
    Les soldats haussèrent les épaules tandis que l'aide de camp d'Annery leur faisait signe de quitter la pièce. Arnaud salua le coadjuteur en déclarant :
    – Je vais les accompagner en signe de bonne volonté.
    Et il se dirigea crânement vers l'escalier, paraissant très à son aise parmi l'escadron aux visages peu amènes des mercenaires, furieux d'avoir été bernés et éprouvant une forte envie de lui faire passer le goût de les défier.
    François se retrouva seul avec Gondi pour une explication d'homme à homme, craignant devant sasurprise non feinte de ne pas obtenir ce qu'il était venu chercher. Le coadjuteur l'entraîna à sa suite vers une pièce en retrait où il découvrit, dans une croisée, une splendide volière.
    – Eh oui mon cher, j'aime admirer ces volatiles… parfois je me demande si leur compagnie ne me réussit pas mieux que tous ces gallinacés de la cour.
    François ne put s'empêcher de sourire. Pendant que Gondi lançait quelques morceaux de pain à ses familiers, il l'observa à loisir. Franchement l'ecclésiastique ne payait pas de mine : petit, mal fait avec un buste trop développé pour ses courtes jambes, noir de cheveux et de peau, fort loin des canons de beauté favorisant le teint laiteux et la blondeur, il semblait être une bévue de Dame Nature. Pourtant il dégageait un véritable charisme et, quand son regard myope se braquait sur vous, on ressentait cette flamme qui l'habitait et l'on devinait alors qu'on avait en face de soi un être d'exception. François remarqua qu'il portait l'épée au côté, ce qui ne le surprit pas vu la réputation de fameux bretteur que nul n'aurait osé lui contester. Ne disait-on pas qu'il avait un soir volé au secours d'un seigneur attaqué sur le Pont-Neuf par une demi-douzaine de malandrins et qu'il l'avait sauvé en réussissant seul à les mettre en fuite ?
    – Je vous écoute, Monsieur de Rohan Montauban… Ne prenez pas cet air surpris, j'étais à l'anniversaire du roi et j'ai assisté à la tentative d'attaque de Madame de Chevreuse. Sachez d'ailleurs à ce propos qu'elle regrette de s'être alliée par le passé avec votre oncle 1 .
    L'expression de François se durcit, Gondi paraissait mieux voir lorsque cela lui était utile et l'évocation d'un nom exécré raviva son ressentiment.
    – Madame de Chevreuse pourrait le regretter plus encore s'il n'en tenait qu'à moi… N'allons pas par quatre chemins, vous devez savoir que je me moque de ce qui s'est passé et de l'identité de la personne que vous avez tuée en duel. Violette de Goyon est morte et