Le jeu de dupes
nul ne songe plus à vous faire chanter. Bien qu'elles soient cousines, mon épouse ne soupçonnait pas ses activités malhonnêtes, nous n'en savions rien lorsque nous l'avons hébergée, aussi je vous demande instamment de rendre la liberté à ma femme.
Gondi écarquilla ses grands yeux de myope.
– C'est donc cela… Je suis désolé que vous vous soyez donné autant de mal pour me rencontrer car je ne suis pas celui que vous cherchez. Mademoiselle de Goyon m'a en effet extorqué une coquette somme pour garder le silence sur l'épisode fâcheux que vous venez de mentionner. Sachez qu'il m'est extrêmement pénible d'avoir été ainsi abusé au point d'avoir ôté la vie à une jeune fille, confia-t-il avec émotion. Je donnerais tout pour effacer ce drame et serais prêt à reverser le même montant exorbitant pour qu'on n'y fasse plus jamais allusion. Une fois Mademoiselle de Goyon payée je n'ai plus entendu parler d'elle et suis au regret de vous dire que je n'ai aucune idée de l'endroit où se trouve votre épouse. Je ne suis pas l'homme que vous recherchez.
François le scruta attentivement et dut se rendre à l'évidence : il ne mentait pas. Dissimulant son abattement il allait prendre congé quand Gondi rajouta :
– Toutefois j'ai ma petite idée sur son identité.
François s'arrêta net puis se retourna lentement.
– J'ai fait surveiller un temps Mademoiselle de Goyon pour savoir à qui exactement j'avais affaire et devinez chez qui elle s'est présentée à plusieurs reprises : chez notre ennemi commun, le prince de Condé… Si elle a voulu jouer avec lui au maître chanteur, elle s'exposait à en payer le prix comme tous ceux qui lui ont offert leur protection.
François s'aperçut qu'il n'était pas réellement étonné car en son for intérieur il dut reconnaître qu'il avait toujours redouté d'avoir pour ennemi le Grand Condé. Comment déjouer un adversaire qu'une reine n'arrivait pas à contrer ? Gondi perçut son trouble et se rapprocha en disant d'une voix douce aux accents sincères :
– Chevalier, nous sommes du même bord et si je peux vous aider, je le ferai. Dites à votre ami le baron de Saldagne que nous sommes quittes et que je promets de servir ma suzeraine avec dévotion, il ne me croisera plus en travers de son chemin.
Puis il retourna à ses oiseaux, marquant ainsi la fin de l'entretien. François descendit retrouver Arnaud qui, seul face à une quinzaine de chevaliers en armes, semblait l'homme le plus détendu du monde. D'un seul regard il comprit qu'il était temps de prendre congé et le fit avec un signe moqueur en direction des soldats du baron d'Annery qui, appréciant modérément ses facéties, ne bronchèrent cependant pas sur un signe d'apaisement de Malclerc, ce dernier s'empressant de raccompagner nos deux héros jusque dans la rue.
Ils rejoignirent alors les faux mendiants stationnés à l'extrémité du parvis où Arnaud leurdonna l'ordre de retourner au palais et de remettre leur uniforme. Resté seul avec François, il attendit ses explications.
– Ce n'est pas notre coupable.
– Il ne reste donc qu'une possibilité.
– Hélas oui. C'est à Condé qu'il va me falloir demander des comptes. Apparemment Violette s'est cru assez maligne pour s'attaquer à lui avant de prendre peur et de se réfugier à Mont Menat, entraînant sa meute à sa suite.
– Dans ce cas, il nous faut voir au plus vite le professeur et examiner en détail quelles cartes nous avons dans notre manche. Ne fais pas cette tête, nous savons enfin qui nous devons affronter.
François acquiesça sans enthousiasme, certes il connaissait à présent l'identité de son ennemi, néanmoins c'était une piètre satisfaction car il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était trop tard. S'il ne pouvait sauver Nolwenn du moins la vengerait-il, se promit-il dans un sursaut de révolte. Les deux compagnons enfourchèrent leur destrier pour rejoindre l'hôtel Bessières sans remarquer la silhouette dissimulée sous un porche qui se hâta de monter à cheval pour les suivre discrètement à distance raisonnable.
1 Voir L'héritier des pagans .
13
Mi-mai 1651 (suite)
– Arnaud, enfin ! Où est François ? demanda Louise en se précipitant sur le perron de l'hôtel Bessières au bruit des sabots sur les pavés de la cour extérieure.
Le gentilhomme, sautant à bas de sa monture, rejoignit immédiatement son épouse qui semblait envahie par une agitation extrême et, pour la
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