Le jour des barbares
magistrat ne plaisantait pas. La
population de la ville, en effet, avait été armée par la municipalité et
surveillait les rues, attendant sombrement qu’ils s’en aillent. Il n’était pas
question de donner satisfaction aux mercenaires. Aussi la foule commença-t-elle
à les siffler et à les insulter, puis à leur jeter des cailloux, et enfin des
flèches. Agressés de la sorte, en pleine rue, par des civils, les Goths demeurèrent
quelque temps interdits, ne sachant que faire, mais ils finirent par perdre
patience, dégainèrent leurs épées et chargèrent la foule, provoquant une
panique générale. Il y eut de nombreux morts, presque tous des civils, et il ne
resta plus aux Goths, puisque leur position était désormais compromise, qu’à
ramasser les armes des défunts, à quitter la ville et à s’en aller rejoindre
les troupes rebelles de Fritigern.
Leur arrivée fut accueillie avec enthousiasme. Dans l’excitation
du moment, les guerriers décidèrent de marcher, tous ensemble, sur Andrinople, afin
de se venger d’une population aussi ingrate. Par bonheur pour les habitants, toutefois,
les Goths n’avaient pas de machines de siège et ne savaient pas en construire. Au
bout de quelques jours, les chefs comprirent qu’ils n’arriveraient pas à
prendre la ville et que le moral de leurs hommes allait s’en ressentir. Conscient
que c’était là une voie sans issue, et qu’il était absurde de s’obstiner à
assiéger la ville alors que la campagne environnante était pleine de richesses
à portée de main, Fritigern tint à ses hommes un discours devenu célèbre, dans
lequel il expliquait qu’il valait mieux laisser les murs en paix et que c’était
aux paysans qu’il fallait faire la guerre. L’empereur était loin, et pour le
moment les Goths n’avaient personne à redouter ; ils se divisèrent donc en
groupes et commencèrent leurs razzias. Femmes, enfants et butin restaient en
sécurité dans les chariots, tandis que des escouades de guerriers – désormais munis,
en partie, de chevaux – partaient dans toutes les directions avec un seul mot d’ordre :
piller.
Dans toute la province s’élevait la fumée des villages
incendiés et des villas en flammes, et les villes furent envahies par des
foules terrorisées, qui fuyaient les campagnes devenues dangereuses. Il faut
néanmoins préciser que tout le monde n’avait pas peur des Goths ; au
contraire, ils trouvèrent des appuis jusque chez les gens du pays. Parmi eux se
trouvaient des compatriotes, car de nombreux Goths vivaient en Thrace : certains
étaient des prisonniers de guerre contraints de travailler comme colons dans
les grandes exploitations impériales, d’autres étaient des esclaves, ces
esclaves goths qui, pendant des années, avaient inondé les marchés ; il y
avait parmi eux les jeunes gens que leurs parents avaient troqués, quelques
semaines plus tôt, contre un peu de nourriture. Naturellement, tous ces Goths désertaient
ou fuyaient à la première occasion, rejoignaient leur peuple et renseignaient
les guerriers, leur indiquant les villages les plus riches, où étaient amassées
d’importantes provisions de vivres. Chaque jour, des gens nouveaux se
présentaient dans les campements des Goths, proposant de les accompagner jusqu’à
un dépôt de céréales ou à une cachette de riches ; les Goths ne faisaient
aucune difficulté pour les accueillir, et leurs bandes devenaient de jour en
jour plus fortes.
VI
LA BATAILLE DES SAULES
1.
Et le gouvernement, que faisait-il ? Ce n’est
certainement pas de gaieté de cœur que Valens dut renoncer à ses préparatifs de
guerre contre la Perse ; mais même cet empereur gras, presque aveugle d’un
œil, qui avait maintenant quarante-huit ans et devait savoir qu’il n’avait plus
beaucoup de temps devant lui, parce que pour l’époque il était presque vieux, même
Valens, donc, finit par se rendre à l’évidence. Il envoya un de ses
collaborateurs en Perse pour essayer de faire la paix en sauvant ce qui pouvait
l’être ; et les régiments qui avaient été rassemblés à la frontière mésopotamienne
furent renvoyés à marches forcées vers la Thrace, sous la conduite de deux
généraux : Trajanus et Profuturus.
Notre chroniqueur, Ammien Marcellin, était un militaire de
carrière et jugeait de ces choses en professionnel. Selon lui, Trajanus et
Profuturus étaient des généraux pour temps de paix, capables de mener des
intrigues dans les
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