Le jour des barbares
rejoints par un général de Gratien, empereur d’Occident,
qui avait été envoyé avec quelques renforts pour prêter main-forte dans cette
situation d’urgence ; c’était à peine plus qu’un renfort symbolique, à
dire vrai, étant donné que les généraux qui commandaient en Gaule avaient
refusé de dégarnir la frontière du Rhin, et que beaucoup de soldats recrutés
sur place, face à la perspective de partir guerroyer en Orient, n’avaient pas
hésité à déserter. Le nouvel arrivé était le commandant de la garde impériale, Richomer,
et il était lui aussi d’origine barbare – un Franc, pour être exact. Il n’y
avait rien d’étrange à cela : l’armée romaine avait toujours enrôlé des
immigrés sans distinction de race, et il y avait désormais beaucoup de généraux
de ce genre, immigrés de deuxième, voire de troisième génération, qui en
réalité n’avaient plus de barbare que le nom, et peut-être les cheveux blonds. Dans
les milieux les plus racistes, on les accusait parfois d’être peu dignes de
confiance, mais la vérité est qu’ils étaient presque tous complètement romanisés
ou hellénisés, et qu’ils étaient souvent plus cultivés que leurs collègues :
plus d’un de ces Francs, de ces Sarmates ou même de ces Goths, qui avaient fait
carrière dans l’armée impériale, figurent au nombre des correspondants des
grands rhéteurs grecs ou des Pères de l’Église.
Les trois généraux romains tinrent conseil sur la conduite à
tenir. Avec leurs forces cumulées, ils se sentaient plus forts que les barbares,
même si Ammien Marcellin soutient qu’ils leur étaient inférieurs en nombre ;
c’est pourquoi ils étaient décidés à prendre l’initiative. Dès que les Goths, las
de rester immobiles, lèveraient le camp pour reprendre leur marche, les Romains
attaqueraient l’arrière-garde du convoi ; ils étaient sûrs d’y trouver la
plupart des prisonniers et des chariots chargés de butin. Les généraux romains
calculaient que, dans le pire des cas, l’ennemi accélérerait l’allure pour
éviter le combat, et que l’on pourrait tout de même récupérer une grande
quantité de butin. Si, en revanche, les Goths acceptaient la bataille, ce
serait dans les conditions les plus défavorables pour eux, ce qui permettrait
peut-être de résoudre en une seule fois toute la campagne et de clore la guerre
avec succès.
3.
Les Goths campaient en sécurité, à l’abri dans leur enceinte
de wagons, en ce lieu au nom si innocent, « les Saules ». Ils
savaient que les Romains étaient proches, et ils savaient aussi que le plan des
généraux était de les attaquer dès qu’ils se mettraient en mouvement, au moment
où la colonne était le plus vulnérable. Ammien Marcellin, qui est notre seul
informateur en ce qui concerne cet épisode, ne cherche pas à dissimuler que les
Goths savaient tout, et il nous explique pourquoi : les déserteurs, dit-il,
les renseignaient. Il vaut la peine de s’arrêter un peu sur cette observation
que le chroniqueur ne se soucie même pas de commenter, tant elle lui paraît
aller de soi. Nous pensons aux Romains et aux Goths comme à la civilisation et
à la barbarie, deux forces que tout oppose ; mais la situation n’était pas
aussi simple. L’armée impériale était pleine de volontaires barbares, fidèles à
l’empereur et prêts à se faire tuer en combattant leurs compatriotes pour la
gloire de Rome, mais aussi de conscrits enrôlés de force qui n’aspiraient qu’à
s’évader. De l’autre côté, le camp des Goths était plein de prisonniers
attendant anxieusement que les soldats romains viennent les délivrer, mais avec
eux il y avait aussi des esclaves fugitifs et des déserteurs, qui ne voulaient
plus entendre parler du gouvernement et avaient choisi d’unir leur sort à celui
des rebelles barbares.
Les déserteurs, donc, renseignaient les chefs sur les
intentions des Romains, et c’est pourquoi les Goths, au début, optèrent pour la
solution la plus simple, qui était de ne pas bouger ; mais ils réalisèrent
bientôt qu’ils ne pouvaient pas continuer comme cela indéfiniment. Il fallait
accepter le combat, c’était la seule issue. Les chefs envoyèrent des estafettes
pour rappeler d’urgence toutes les escouades qui étaient parties chercher des
vivres, et l’une après l’autre elles rejoignirent le campement : chaque
groupe qui revenait donnait aux Goths le sentiment d’être un peu
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