Le jour des barbares
couloirs du palais, mais ne sachant pas faire la guerre. Dans
une situation comme celle qui s’était développée en Thrace, il fallait
appliquer des techniques de contre-guérilla : les ennemis étaient ralentis
par le butin qu’ils avaient accumulé, et ils étaient obligés de se diviser en
groupes pour pouvoir survivre en pillant les ressources du pays. Il fallait
ratisser le territoire et se contenter de surprendre tantôt une bande, tantôt
une autre ; localiser les campements et les attaquer par surprise, avec de
petits groupes d’hommes d’élite, pour libérer les prisonniers et récupérer le butin ;
et petit à petit l’ennemi s’affaiblirait. Mais Trajanus et Profuturus n’avaient
ni la lucidité ni même sans doute les compétences indispensables pour monter ce
type d’opérations et en attendre les résultats. Il se pourrait d’ailleurs qu’un
empereur nerveux ne leur ait fait que trop clairement comprendre qu’il exigeait
des résultats immédiats. Le fait est qu’au lieu d’organiser des battues
méthodiques en cherchant à neutraliser les pillards une bande après l’autre, l’armée
venue de Mésopotamie se dirigea en une colonne unique vers le lieu où
stationnait le gros des ennemis, afin de livrer bataille en terrain découvert, comme
l’avait déjà fait Lupicinus.
Les Goths savaient cette fois que l’ennemi était plus fort
qu’eux, et n’avaient nullement l’intention de rester à attendre qu’il vienne
les attaquer. Fritigern rappela toutes les bandes éparpillées, rassembla tous les
chariots en un seul immense convoi, puis, ralenti par le butin et les milliers
de prisonniers capturés, commença à battre en retraite à travers les régions
montagneuses du centre de la Thrace. Là, installé sur des positions imprenables,
maître des cols et sûr de ses arrières, il s’arrêta, prêt, semble-t-il, pour la
bataille. Les généraux romains conduisirent leurs troupes jusque sous les
montagnes, mais ils eurent à leur tour le bon sens de ne pas attaquer. L’ennemi,
après tout, s’était enfermé de lui-même au milieu des montagnes et pourrait
difficilement en sortir ; il n’était donc pas nécessaire de courir de
risques. Les Goths attendirent pendant quelque temps l’attaque des Romains ;
puis ils reprirent leur retraite vers le Nord, quittèrent les montagnes du côté
le plus éloigné et continuèrent leur marche vers le delta du Danube. On aurait
presque dit qu’ils en avaient assez, qu’ils avaient pris le parti de
retraverser le fleuve et de rentrer dans leur pays, avec tout le butin, le
bétail, les esclaves hommes et femmes qu’ils s’étaient procurés durant tous ces
mois de pillage où personne n’était venu les déranger. Les Romains les
suivaient à la trace, mais aucun des deux camps ne paraissait avoir vraiment
envie de combattre.
2.
Les deux armées avaient presque atteint le Danube : celle
des Goths qui se retirait lentement, avec ses longues files de chariots tirés
par des bœufs et des dizaines de milliers de civils à leur suite, et celle des
Romains qui les suivait avec prudence, guettant l’occasion favorable. Les Goths
se postèrent près d’une localité qui s’appelait ad Salices , « les
Saules ». Elle a été identifiée ; proche du delta du Danube, à l’emplacement
de l’actuelle Dobroudja roumaine, non loin de la côte de la mer Noire et de
Tomi, où le poète Ovide mourut en exil, c’était le bord extrême de l’empire. Encore
une ou deux journées de marche et les barbares arriveraient à la frontière ;
peut-être pensaient-ils pouvoir franchir le fleuve au niveau du delta, là où s’étendent
les marais et où les eaux sont basses. En attendant, ils avaient établi leur
campement conformément à leurs habitudes, avec tous les chariots disposés en
cercle, comme les pionniers du Far-West, à ceci près que le cercle en question
devait avoir plusieurs centaines de mètres de diamètre. À l’intérieur de cette
forteresse de bois qu’Ammien Marcellin appelle carrago, les femmes
allumaient les feux et préparaient à manger, les chevaux étaient mis à l’abri, la
multitude des prisonniers était attachée ; et les guerriers étaient oisifs,
comme il convient à des guerriers quand ils n’ont pas à combattre. Quelques
escouades avaient été envoyées chercher du fourrage et des vivres dans les environs.
Mais à peu de distance de là, dans le campement romain, les
généraux de Valens furent
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