Le jour des barbares
plus forts, et
un peu plus disposés à courir le risque de la bataille. Lorsqu’elles furent
toutes rentrées, le soir était tombé, et même si l’excitation dans le camp des
barbares était à son comble, ce n’était évidemment plus le moment de sortir se
battre. Ammien Marcellin écrit à ce propos : « Toute la foule, encore
entassée dans les limites de l’enceinte circulaire, grondant sauvagement et
animée de sentiments féroces, avait hâte d’affronter les dangers suprêmes, sans
que même les chefs de la nation présents fissent obstacle à leur cruauté. »
Les conditions sanitaires à l’intérieur du campement, la pénurie de nourriture
fraîche, et la tension nerveuse que provoquait cette sorte d’état de siège, devaient
être telles que tous ne désiraient plus qu’une chose : sortir et faire
face à l’ennemi. Mais il faisait déjà nuit. Les Goths décidèrent par conséquent
d’attendre le lendemain, s’assirent pour manger, et personne ne dormit cette
nuit-là. Les Romains étaient installés à peu de distance et se rendaient
parfaitement compte, en entendant tous ces cris, que quelque chose allait
arriver ; eux non plus ne dormirent pas. Les soldats se disaient que leur
cause était juste, et que Dieu, ou les dieux, les aideraient, mais ils savaient
aussi que les ennemis étaient nombreux et qu’ils étaient sauvages, pires que
des bêtes féroces ; c’est pourquoi, dans le campement romain, les vétérans
secouaient la tête et se demandaient comment tout cela allait se terminer.
4.
Au matin, chacun savait que la bataille était imminente. Dans
le campement romain, les trompettes appelaient les soldats à rejoindre leurs
escadrons et à s’installer à leur poste. Chez les barbares, qui n’étaient plus
si barbares que cela, les trompettes résonnaient également, et les guerriers se
regroupaient avec discipline en les entendant. Suivant la coutume, les fidèles
des chefs renouvelaient le serment qu’ils avaient prêté la première fois qu’ils
étaient entrés à leur service, jurant de se faire tuer plutôt que de les
abandonner au milieu du danger, et les frères d’armes prenaient le même engagement
les uns avec les autres. Puis la multitude des guerriers sortit du cercle des chariots,
non pas en désordre mais de façon réglée, masse toujours plus nombreuse
envahissant la plaine. Les Romains se déployaient déjà à quelques centaines de
mètres de distance, et les derniers soldats coururent en toute hâte prendre
leur position quand ils s’aperçurent que l’ennemi était sorti et s’apprêtait à
attaquer. Puis, progressivement, les deux masses d’hommes commencèrent à se
rapprocher l’une de l’autre, car chacun voulait montrer qu’il n’avait pas peur
et ne refusait pas le combat.
Une chose, toutefois, était de se rapprocher, une autre d’entrer
véritablement en contact. Nous avons peine à imaginer aujourd’hui que deux
masses composées de plusieurs milliers d’hommes bardés de fer puissent
réellement se précipiter l’une contre l’autre en frappant aveuglément devant
elles, et, de fait, ce n’était pas comme cela qu’une bataille se déroulait. Les
deux armées avancèrent encore un moment, puis s’arrêtèrent : on ne savait
pas très bien qui allait avoir le courage d’attaquer le premier. Mais la guerre
archaïque était également faite d’autres rituels. Les Romains, pour se stimuler
et démoraliser l’ennemi, poussèrent tous ensemble leur cri de guerre, qu’ils
appelaient du nom barbare de barritus (« barrissement ») ;
et c’était vraiment un cri plus animal qu’humain, un mugissement débutant sur
une note basse, puis montant de plus en plus jusqu’à devenir assourdissant. Les
soldats romains – qui pour partie, rappelons-le, étaient des immigrés – l’avaient
appris auprès des tribus germaniques.
Les Goths, de leur côté, défiaient leurs ennemis en suivant
l’usage ancestral : ils s’avançaient dans le no man’s land entre
les deux armées, se présentaient, faisaient l’éloge de leurs propres ancêtres, et
promettaient de ne pas les déshonorer ce jour-là. Deux siècles plus tard, en 552,
le dernier roi des Goths, Totila, se plierait encore au même rituel avant la
bataille de Tadinæ (aujourd’hui Gualdo Tadino, en Italie centrale), effectuant
des figures équestres et montrant son habileté au maniement de la lance, comme
si ses ancêtres étaient là et le regardaient. De
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