Le jour des barbares
était
hors de combat, ainsi que les premiers renforts arrivés d’Occident. L’armée
romaine ne disposait jamais d’une grande marge de manœuvre, et pour le moment
celle-ci était inexistante ; il n’était pas envisageable de courir le
risque d’une nouvelle bataille.
Mais on pouvait tirer parti du terrain, et les généraux
romains s’y appliquèrent sans tarder. La marche des Goths en direction du nord,
qui les avait conduits presque jusqu’au Danube, les avait éloignés des zones
les plus fertiles de la province, et ils campaient désormais sur la steppe, dans
une région que les Romains avaient tenté de peupler longtemps auparavant avec
des colons et des déportés, mais où les richesses étaient insuffisantes pour
sustenter autant de gens sur une longue période. Il ne faut pas oublier, en
effet, que dans le camp des Goths, en plus des combattants, il y avait des
dizaines de milliers de civils, et un nombre sans doute équivalent de bœufs et
de chevaux à nourrir. Les généraux romains, en évacuant la zone, ordonnèrent d’entasser
toutes les réserves de vivres et le plus grand nombre possible d’habitants dans
les cités fortifiées, que les Goths n’étaient pas en mesure d’assiéger : les
barbares devenaient ainsi les maîtres du pays, mais c’était un pays stérile et
sans ressources. Il était clair que, tôt ou tard, s’ils ne voulaient pas mourir
de faim, les Goths devraient rebrousser chemin vers le sud de la Thrace ; et
pour ce faire il leur faudrait retraverser les monts que les Romains appelaient
Hémus, c’est-à-dire les contreforts orientaux de la chaîne des Balkans. C’étaient
des montagnes sauvages, qu’on ne pouvait franchir qu’en empruntant un petit
nombre de routes, et il suffisait de bloquer quelques cols pour interdire le
passage à cette multitude encombrée de chariots. Les Romains se mirent donc à l’œuvre ;
l’instruction des troupes avait toujours mis l’accent sur la capacité de
travailler, vite et avec méthode, en fonction des besoins, transformant les
soldats en menuisiers, charpentiers ou maçons, et cette capacité était maintenant
utilisée à plein. Lorsque les Goths se mirent en marche et commencèrent la
traversée des montagnes, ils constatèrent que tous les cols étaient barrés par
des palissades, des terre-pleins, voire des ouvrages de maçonnerie, et que
derrière ces fortifications les Romains attendaient.
2.
Un an s’était déjà écoulé depuis que les Goths étaient
descendus en masse sur la rive du Danube, implorant les Romains de les laisser
entrer dans l’empire. La bataille des Saules, puis la retraite de l’armée
romaine vers le sud et la fermeture des cols balkaniques avaient eu lieu
pendant l’été 377. Telle est du moins la façon dont nous comptons les
années ; pour les Romains, qui ne les comptaient pas mais continuaient à
les désigner par le nom des consuls, cela s’était passé « sous le consulat
de Flavius Gratianus et de Flavius Merobaudes ».
Les noms des deux consuls de cette année-là suggèrent
quelques réflexions quant à la nature de l’empire. L’un des deux, Gratien, était
l’empereur d’Occident, car telle était la coutume, et il était consul pour la
quatrième fois. Mais l’autre, Mérobaude, était un de ces militaires d’origine
germanique (immigré ou fils d’immigré, comme son nom l’indique clairement) qui
non seulement avaient fait carrière dans l’armée, mais s’étaient parfaitement
intégrés au sein de la classe dirigeante de l’empire, au point de pouvoir
accéder au consulat. Même s’il ne correspondait plus à aucun pouvoir politique,
le titre de consul était presque sacré pour les Romains et jouissait d’un
prestige que nous avons peine à imaginer ; et le fait que des hommes
politiques ou des militaires d’origine étrangère aient pu l’obtenir montre à
quel point le groupe dirigeant de l’empire était ouvert et composite.
C’était donc pendant le consulat de Gratien et de Mérobaude,
en l’an 377 après Jésus-Christ, et l’été touchait à sa fin. On sait que l’hiver,
dans cette région, peut être très rigoureux ; et les généraux romains
commençaient à penser que, si les Goths restaient prisonniers des montagnes, le
froid et la faim se chargeraient de les anéantir. Le commandement des troupes
stationnées dans les cols des Balkans avait été confié à un nouveau général, car
Valens, à Antioche, était très
Weitere Kostenlose Bücher