Le jour des barbares
mécontent des nouvelles en provenance du front, et
il avait envoyé un de ses hommes les plus sûrs, Saturninus, avec tous les renforts
disponibles. Saturninus arriva sur place juste au moment où les Goths
commençaient à se rendre compte qu’ils étaient pris au piège. Pendant plusieurs
jours, les barbares assaillirent les palissades et les terre-pleins qui
barraient la route, avec rage puis avec désespoir, mais ils ne réussirent pas à
passer ; et Saturninus fut persuadé qu’il les tenait dans le creux de sa
main.
Mais les chefs goths n’étaient pas des imbéciles. La voie
permettant de descendre vers le sud et de s’égailler dans les riches terres de
Thrace était certes coupée, mais les communications avec le nord, vers la
plaine du Danube et les steppes, étaient toujours ouvertes ; les Goths, par
ce canal, envoyèrent des messagers rechercher des renforts. Ils s’adressèrent à
d’autres tribus de pasteurs et de cavaliers, les Alains, et même à certains clans
de Huns. Quelques mois plus tôt, la terreur que leur inspiraient les Huns avait
chassé les Goths de leurs terres, mais maintenant la situation n’était plus la
même. Les Goths avaient une tête de pont en territoire romain : les
perspectives de conquête et de pillage étaient trop belles pour être négligées,
et c’était là une chose que même les Huns, tout primitifs qu’ils fussent, pouvaient
comprendre. On était à peine au début de l’automne, l’hiver était encore loin, et
des nouvelles de plus en plus préoccupantes parvenaient au quartier général de
Saturninus : des hordes d’Alains et de Huns, à cheval, traversaient le
Danube et se dirigeaient vers le sud.
3.
Saturninus prit alors une décision qui se révéla fatale, mais
peut-être n’avait-il pas d’autre possibilité. Une chose était de fermer les
cols montagneux et d’interdire le passage à la colonne des Goths, qui devait s’étendre
sur des dizaines de kilomètres, avec tous ses chariots et son bétail, qui se
déplaçait lentement, alourdie comme elle l’était par le butin et les esclaves, et
qui, une fois repérée, pouvait être aisément bloquée en fermant quelques routes.
Arrêter, en revanche, des bandes de cavaliers extrêmement mobiles, rompus aux
incursions soudaines, capables d’emprunter n’importe quelle route, de découvrir
des raccourcis inconnus, voire de surprendre par l’arrière les campements
romains, en les attaquant par surprise et en leur coupant les voies de retraite,
c’était là une tout autre affaire. Une telle perspective était terrifiante, et
Saturninus estima qu’il ne pouvait pas prendre ce risque : mieux valait
rassembler toutes ses troupes, descendre des montagnes, d’autant plus que l’hiver
n’épargnerait pas non plus les Romains, mettre l’armée en sûreté dans les cités
fortifiées de la plaine, et réfléchir calmement à la meilleure stratégie pour
résoudre le problème l’année suivante. Le résultat fut que, dès qu’ils virent
que la voie était libre et que l’ennemi avait abandonné les fortifications, les
Goths franchirent les montagnes et débouchèrent à leur tour dans la plaine.
Comme l’année précédente, violences et pillages se donnèrent
libre cours. La Thrace était vaste, et les Goths la parcouraient en toute
sécurité, avec les bandes de Huns et d’Alains qui les avaient rejoints. Les
troupes romaines, pour pouvoir passer l’hiver, avaient été contraintes de se
répartir dans les différentes villes, où se trouvaient les dépôts d’orge, de
vin et de lard indispensables à leur subsistance ; les Goths étaient
dehors et devaient s’abriter derrière leurs chariots pour affronter la mauvaise
saison, mais tout ce qu’il y avait dans les campagnes s’offrait à eux, sans la
moindre protection. Dans le compte rendu d’Ammien Marcellin, nous lisons de
nouveau le triste récit des fermes mises à sac et incendiées, des femmes violées,
des enfants emportés comme esclaves. Pour échapper aux atrocités des barbares, les
habitants abandonnèrent en masse la région ; une génération plus tard, il
y avait encore en Thrace des zones dépeuplées et impossibles à traverser à
cause du manque de lieux habités. Les réfugiés essaimèrent jusqu’en Italie, où
ceux qui ne trouvèrent pas de travail comme ouvriers agricoles dans les grandes
exploitations de la plaine du Pô se vendirent comme esclaves pour avoir de quoi
manger.
Pour ne rien arranger,
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