Le jour des barbares
de se débarrasser des Goths une bonne fois
pour toutes. À mesure qu’ils arrivaient de leurs garnisons, les régiments
étaient remis en forme grâce à une nourriture meilleure qu’à l’ordinaire, recevaient
les arriérés de leur solde, puis s’en allaient sur la place d’armes écouter les
discours de l’empereur, qui les exhortait à se montrer dignes de leur réputation.
Le moral, semble-t-il, était bon, et c’était sans doute dû à la cuisine et au
salaire plus qu’aux discours de Valens. Au bout de quelques semaines, tous les
régiments mobiles encore dispersés dans les provinces orientales finirent par
être réunis ; il y avait là, en outre, la cavalerie de la garde impériale,
qui avait accompagné Valens depuis Antioche. Lorsqu’il eut constitué une force
suffisante, l’empereur décida de se mettre en mouvement. On était maintenant au
cœur de l’été, les Goths continuaient tranquillement à dévaster la Thrace, avec
leurs convois de chariots, de jour en jour plus riches de butin et de
prisonniers ; la défaite que leur avait infligée Frigéridus les avait
affaiblis, mais, depuis le retour du beau temps, de nouvelles bandes les
rejoignaient sans cesse, traversant le Danube pour prendre part au pillage. Si
l’on n’agissait pas rapidement, les barbares deviendraient de plus en plus
forts, et l’humeur de l’opinion publique, dans tout l’empire, de plus en plus
sombre. L’empereur ne pouvait plus se permettre de temporiser. Son jeune neveu
Gratien avait réglé leur compte aux Alamans, et des informations précises indiquaient
qu’il était en chemin, longeant le cours du Danube avec le gros de l’armée d’Occident.
Les courriers rapportaient qu’il était malade et que des bandes de cavaliers
ennemis harcelaient son avant-garde pour ralentir sa marche, mais il ne faisait
aucun doute qu’il arriverait bientôt en Thrace. Ensemble, les deux empereurs
allaient prendre les barbares en tenaille et les anéantir.
3.
Tandis que l’armée de Valens se préparait à partir pour l’intérieur
de la Thrace livrée au brigandage des Goths, l’empereur et ses généraux
discutaient du plan de campagne à adopter. L’expérience d’un conflit qui durait
maintenant depuis deux ans avait montré qu’il ne fallait livrer bataille que si
les conditions étaient absolument favorables et le succès assuré. L’un de nos
chroniqueurs, le Grec Eunape, décrit cette situation conformément à un schéma
typique de la sensibilité antique : en ramenant tout à une question de
culture. Si quelqu’un a reçu une bonne éducation et a lu les bons livres, les
leçons des Anciens lui auront enseigné qu’il ne faut jamais attaquer de front
un ennemi réduit au désespoir, privé de voie d’issue et par conséquent prêt à
se battre jusqu’à la mort. Pour détruire un ennemi de ce genre, la meilleure
méthode consiste à faire traîner les choses en essayant de le couper de ses
sources de ravitaillement : si l’on y parvient, alors le nombre même des
ennemis jouera en leur défaveur, car plus ils seront nombreux, plus ils auront
du mal à ne pas mourir de faim.
Eunape paraît sous-entendre que Valens était incapable de s’élever
jusqu’à ces considérations parce qu’il n’avait pas fait assez d’études, et qu’il
ne faut pas s’attendre à d’autres résultats quand on met sur le trône impérial
un homme inculte. En réalité, du moins au début, Valens semblait avoir très
bien compris que ce n’était pas le moment d’avancer tête baissée contre l’ennemi.
Même sans l’avoir lu dans les livres, l’expérience des deux dernières années
suffisait à montrer qu’on pouvait gagner beaucoup en prenant peu de risques, si
l’on organisait ce que nous appellerions aujourd’hui une stratégie de
contre-guérilla, chose pour laquelle les Romains, faute de réflexion théorique
et de vocabulaire adéquat, n’avaient pas de nom ; ils le faisaient, un
point c’est tout. Il s’agissait de parcourir le pays avec des forces peu
nombreuses, très mobiles, précédées par beaucoup d’éclaireurs ; de
localiser l’ennemi et de fondre sur lui à l’improviste, afin de liquider toutes
les bandes assez imprudentes pour se laisser prendre au piège. Il fallait un
spécialiste pour monter des opérations de ce genre, et Valens en avait justement
un sous la main : Sébastianus.
Tous les chroniqueurs s’accordent sur le fait que Sébastianus
était le meilleur
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