Le jour des barbares
reculer
vers le Danube à l’abri des montagnes, soit se jeter vers l’est en direction de
la mer Noire, soit redescendre au sud pour reprendre les pillages et défier l’ennemi.
Depuis Cabyle, où le campement de chariots grossissait à mesure que les bandes
jusqu’alors dispersées le rejoignaient, il fallait parcourir moins d’une
centaine de kilomètres, en descendant vers le sud le long de la rivière Tundza,
pour arriver à Andrinople.
Entre-temps, Valens était enfin parti. Les courriers en
provenance d’Occident confirmaient que son neveu Gratien avait démantelé la
menace barbare sur le Rhin et s’approchait avec son armée. Les rapports de Sébastianus,
en outre, faisaient état de succès continuels, de bandes interceptées et
détruites, de butin récupéré. Il se peut que ce général ait été enclin à
exagérer quelque peu ses succès, comme le note malignement Ammien Marcellin ;
mais les succès étaient bien là. Valens, comme tout son entourage, eut le
sentiment que la phase finale de la campagne était arrivée, et que le moment
était venu pour lui, l’Auguste, de faire sentir sa présence, de régler la question
et d’obtenir les lauriers de la victoire. Gratien, ce tout jeune homme, avait
déjà gagné une guerre : il n’était pas question de le laisser en gagner
une autre, et on ne pouvait pas non plus permettre à un homme utile mais
antipathique tel que Sébastianus de s’approprier toute la gloire d’avoir vaincu
les Goths. C’est pourquoi Valens quitta sa villa suburbaine, avec toute l’armée
qui, au cours des dernières semaines, s’y était rassemblée, et marcha vers l’intérieur
de la Thrace, fermement décidé à attaquer le gros des forces ennemies et à les
anéantir d’un seul coup.
Il est impossible de dire aujourd’hui de combien d’hommes se
composait l’armée de Valens, et les estimations des historiens sont assez
divergentes. Les plus crédibles tournent autour de quinze ou vingt mille hommes.
Ce nombre peut nous paraître faible, ne serait-ce que parce que nous sommes
habitués depuis les bancs de l’école aux chiffres énormes avancés par les
historiens latins au sujet des armées de l’Antiquité ; mais ces chiffres
sont largement imaginaires, et la réalité était bien plus modeste. Pour mettre
ensemble vingt mille hommes, après les pertes que les Goths avaient déjà infligées
aux Romains en presque deux ans de guerre, Valens avait dû racler le fond de la
marmite, ne laissant aux frontières que les troupes les moins mobiles et les
moins aguerries. Rien que sur l’Euphrate, face aux Perses, il était indispensable
de maintenir une force de dissuasion suffisamment sérieuse. Pour le reste, l’empereur
avait fait venir pratiquement tous les régiments de ligne encore disponibles en
Orient, et toutes les scholæ, c’est-à-dire les régiments de cavalerie de
la garde impériale. Pour l’époque, c’était une armée assez imposante, peut-être
pas gigantesque, mais plus que respectable : Ammien Marcellin en parle
comme d’une grande armée, et il ajoute que de nombreux vétérans avaient été rappelés
en service actif expressément pour cette campagne. C’étaient des troupes bien
payées, encore solidement soudées par l’esprit de corps : elles
suffiraient sans aucun doute pour en finir avec ces bandes de gueux qui, depuis
quelque temps, mettaient la Thrace à feu et à sang.
IX
ANDRINOPLE, 9 AOÛT 378
1.
Les mouvements des Goths et ceux de l’armée de Valens durant
les premiers jours du mois d’août ne sont pas faciles à reconstituer. Andrinople
était la première grande ville que l’empereur rencontra sur sa route après avoir
quitté les faubourgs de la capitale. Les barbares, toutefois, ne s’étaient plus
avancés jusque-là depuis la dernière victoire de Sébastianus, et lorsqu’il
atteignit Andrinople, Valens décida de pousser plus loin, vers les monts du
Rhodope, dans l’espoir d’arriver en vue de l’ennemi. Mais les Goths s’étaient
eux aussi déplacés, descendant de Cabyle vers le sud, comme si Fritigern, ayant
su que l’empereur en personne lui donnait la chasse, avait décidé de l’affronter.
Cela n’aurait rien d’étonnant, connaissant l’éthique guerrière des Goths et la
lucidité dont Fritigern avait fait preuve jusqu’alors. Des deux adversaires, c’étaient
les Romains qui donnaient le plus l’impression de naviguer à vue ; ils
disposaient pourtant d’une cavalerie
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