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Le jour des barbares

Le jour des barbares

Titel: Le jour des barbares Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alessandro Barbero
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Goths. Pourtant, nous
dit Ammien Marcellin, il n’avait vraiment aucune caractéristique ethnique :
bien qu’il fût sarmate, il était « temporisateur et prudent ». Bref, Victor
était un de ces militaires de carrière devenus romains jusqu’au bout des ongles,
même si peut-être, par leur aspect physique et leur accent, ils gardaient
quelque chose d’étranger. Pour le reste, c’était un catholique convaincu et
même fervent, qui entretenait une correspondance avec des Pères de l’Église
tels que saint Basile et saint Grégoire de Nazianze, et qui suivait avec
attention les débats théologiques de l’époque. Il se pourrait que l’empereur, en
sa qualité d’arien, n’ait pas eu beaucoup de sympathie pour ce catholique ;
mais il savait que c’était un homme précieux, et il n’avait pas la moindre
intention de se passer de lui.
    Victor, donc, comme beaucoup d’autres, conseillait la
prudence. Mais Sébastianus, avec tout le prestige et l’enthousiasme de ses
récentes victoires, se rangea dans le camp opposé et déclara qu’il fallait
attaquer. Les généraux les plus courtisans, habitués à deviner la volonté du
maître avant de formuler une opinion, virent tout de suite que Valens avait
envie de suivre ce conseil. Sa position politique à Constantinople, en ce
moment précis, était très précaire : il avait besoin d’une victoire, et il
ne voulait pas la partager avec Gratien. Ainsi, un peu à cause de l’optimisme
contagieux de Sébastianus et un peu par esprit courtisan, le conseil de guerre
décida d’attaquer.

3.
    C’était le 8 août. Dans le campement de Valens, tout près d’Andrinople,
la rumeur selon laquelle l’armée sortirait le lendemain pour rencontrer les
barbares et les détruire s’était déjà répandue. Tandis que les soldats s’occupaient
à faire reluire leurs armes et à prendre soin des chevaux, on vit se présenter
à l’entrée du campement un groupe de Goths, envoyés par Fritigern en délégation,
avec à sa tête un prêtre – un prêtre goth, évidemment, par conséquent arien, tout
comme l’empereur –, qui apportait une lettre du chef suprême, demandant que des
tractations soient engagées.
    L’arrivée de cette ambassade confiée à un prêtre chrétien
est un moment extraordinaire de la longue et complexe histoire de la
cohabitation de Rome avec les barbares. Les Goths, nous l’avons vu, quoiqu’en
partie déjà christianisés, étaient loin d’être tous convertis, et les chrétiens
n’étaient peut-être encore parmi eux qu’une minorité. L’Empire romain était
officiellement chrétien, mais en réalité il comptait encore de très nombreux
païens, et une certaine hostilité envers le christianisme restait perceptible, surtout
chez les intellectuels, même s’il n’était plus très judicieux d’en faire ouvertement
état. Ces sauvages qui prétendaient s’être convertis au christianisme, avec
leurs prêtres et leurs évêques barbares, étaient une source particulière d’irritation
pour les intellectuels païens, qui ne perdaient pas une occasion de les
ridiculiser. Ammien Marcellin passe rapidement sur cet aspect des choses, disant
seulement que l’émissaire des Goths était « un “presbytre” de la religion
chrétienne – c’est le nom qu’ils donnent eux-mêmes », tandis que notre
second témoin, Eunape, en profite pour se défouler. Toutes ces tribus barbares
qui se sont déversées dans l’empire, dit-il, emportent avec elles les idoles de
leurs dieux, les prêtres et les prêtresses du culte païen, et continuent de
célébrer leurs rites ancestraux. Pourtant, « ils gardent une discrétion
absolue, un silence impénétrable règne sur ces questions, et ils ne parlent
jamais de leurs mystères » ; pour mieux abuser les Romains, ils font
même semblant d’être tous chrétiens. Mais ce n’est qu’une ruse, poursuit l’historien
païen : ils prennent l’un des leurs, l’habillent en évêque et l’envoient
avec tous ses parements pour tromper les naïfs ; ils sont prêts à jurer
sur la Bible et sur les reliques, et les empereurs prennent au sérieux ces
serments, alors que pour eux tout cela n’est qu’une farce ; ils ont même « quelques-uns
de la race de ceux qu’on appelle moines », déguisés en moines chrétiens. Ce
n’est guère difficile, il suffit d’une tunique en lambeaux et d’un manteau gris.
Ce qui rend Eunape furieux est que tout le monde croit à cette

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