Le jour des barbares
énumère tous les régiments de l’Empire romain d’Orient et d’Occident
– un document précieux intitulé Notitia dignitatum – a été rédigé après
Andrinople, et certains des régiments qui furent anéantis dans la bataille n’y
sont probablement pas mentionnés. À force de calculs et de comparaisons pour
estimer les pertes, on est arrivé à la conclusion que quatorze régiments d’infanterie
ont peut-être été détruits à Andrinople et n’ont jamais été reconstitués par la
suite.
Nous devons expliquer pourquoi nous employons ce terme d’apparence
moderne, « régiments », au lieu de parler de légions. Le fait est que
la composition de l’armée romaine avait beaucoup changé par rapport à l’époque
classique. Il y avait encore des légions, ou du moins des troupes qui portaient
ce nom ; mais la très grande majorité des légions antiques, avec leurs
noms glorieux rappelant l’époque de César et d’Auguste – la Ferrée, la Victorieuse,
la Foudroyante –, étaient fragmentées en petits détachements éparpillés sur des
milliers de kilomètres tout au long des frontières de l’empire.
Les troupes mobiles, que les empereurs gardaient sous leur
contrôle direct, étaient formées de deux autres types d’unités. L’un s’appelait
également légion, même s’il n’avait plus grand-chose à voir avec les légions
classiques : celles-ci, en effet, étaient des phalanges énormes, de cinq
ou six mille hommes chacune, et trois ou quatre d’entre elles suffisaient pour
constituer une grande armée. Les légions de l’empire tardif, en revanche, étaient
des unités plus restreintes, ne dépassant pas mille hommes sur le papier ;
dans la réalité, elles étaient en dessous du millier – l’équivalent d’un bataillon
moderne. À côté des légions, il y avait les auxilia, qui à l’origine
étaient des unités d’appoint, recrutées parmi les populations barbares soumises.
Elles avaient cessé d’être des troupes auxiliaires, car les recrues barbares
étaient réputées les meilleures ; leurs effectifs, toutefois, étaient
inférieurs à ceux des légions, ne comportant sans doute pas plus de quelques
centaines d’hommes. Tous ces régiments avaient des noms pittoresques, qui se
référaient aux armes dont ils étaient équipés, ou bien aux tribus auxquelles
appartenaient les recrues, ou encore à l’empereur qui les avait institués. Nous
connaissons le nom de deux des légions qui étaient avec Valens à Andrinople, les Lanciarii et les Mattiarii, et celui d’un des auxilia :
les Batavi, recrutés parmi les Germains qui vivaient dans le delta du
Rhin (la Hollande actuelle). Sur la base de l’estimation des pertes dont nous
avons parlé, on peut retenir qu’en additionnant les légions et les auxilia, il
devait y avoir une vingtaine d’unités d’infanterie dans l’armée de Valens.
Puis il y avait la cavalerie, que depuis longtemps les
Romains avaient pris soin de renforcer, alors qu’autrefois elle constituait le
point faible de leur armée. Il y avait les régiments de cavalerie de la garde
impériale – les scholæ – et ceux de la cavalerie de ligne, qui portaient
des noms compliqués (par exemple les Equites promoti juniores) et
respectaient un code de préséances tout aussi compliqué. Les effectifs de ces
régiments sont incertains, mais devaient être assez réduits – peut-être un
demi-millier d’hommes pour chacune des prestigieuses scholæ, moins pour
les autres –, surtout si l’on tient compte de l’énorme coût de la cavalerie, en
équipement et en chevaux de remonte.
C’était une armée très différente de celle de Jules César. L’infanterie,
comme nous le savons déjà, n’était plus armée de glaives, mais de lances, et
combattait en formation serrée, d’une profondeur de six ou huit rangées, pareille
à la phalange antique des Macédoniens. La cavalerie d’assaut, lourdement
cuirassée, était en revanche déjà semblable, par son aspect, à la cavalerie
médiévale, à l’exception d’un détail décisif : les Romains ne
connaissaient pas l’étrier. Et il y avait beaucoup d’archers, bien plus
nombreux que par le passé, à pied et aussi à cheval, sur le modèle des peuples
d’Orient. L’armée romaine, en somme, avait changé au cours du temps, parce qu’elle
devait affronter des ennemis toujours différents ; mais la discipline
était restée la même, les traditions étaient restées celles
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