Le jour des barbares
d’autrefois, les
hommes étaient des vétérans endurcis sous les armes, l’esprit de corps était
élevé.
7.
En ce début d’après-midi du 9 août, sous un soleil presque
au zénith, les unités étaient regroupées en ordre parfait autour de leurs
étendards en forme de dragon. Elles répondaient aux cris de défi des barbares
par le mugissement profond du barritus, frappaient rythmiquement leurs
lances contre leurs boucliers, et ce martèlement sinistre et menaçant résonnait
dans toute la plaine. Sur l’aile droite de l’armée romaine, la cavalerie se
déployait rapidement et avait déjà rejoint la ligne des hauteurs où étaient
disposés les chariots des barbares. La cavalerie de l’aile gauche, qui formait
l’arrière-garde de la colonne de marche, était en retard et n’avait pas encore
fini de prendre position, mais se rattrapait vite. L’infanterie occupait le
centre de ce dispositif : une vingtaine d’unités, quinze mille hommes
environ. Les soldats de chaque régiment étaient reconnaissables à un signe
distinctif ornant leur bouclier rond : celui des Lanciarii, par
exemple, était un soleil d’or sur fond rouge. Dès qu’ils furent arrivés à
portée de tir de la barricade des chariots, les archers romains commencèrent à
lancer des flèches, pour effrayer l’ennemi plus que pour provoquer de
véritables dégâts. Et de fait, l’ennemi fut effrayé : une fois de plus, des
parlementaires sortirent de l’enceinte, et ils furent immédiatement conduits en
présence de l’empereur.
Ammien Marcellin est persuadé que toutes ces négociations
proposées par les barbares n’étaient qu’une ruse : Fritigern attendait le
retour de la cavalerie, qui ne devait pas se trouver très loin de là, et qui
sûrement, en apercevant le nuage de poussière à l’horizon, avait deviné l’approche
de l’armée romaine. Selon Ammien, les Goths avaient pour unique objectif de
faire traîner les choses et firent délibérément en sorte que les tractations se
prolongent. Fritigern avait envoyé, cette fois encore, une ambassade composée
de guerriers ordinaires, sans aucun chef. Valens se déclara offensé, et dit qu’il
était éventuellement disposé à traiter et à proposer des conditions de paix, mais
qu’il avait besoin de traiter avec les chefs ; sans quoi, qui pouvait lui
garantir que les accords seraient respectés ? Pendant qu’on discutait
ainsi sous la tente de l’empereur, le soleil brillait impitoyablement en ce
brûlant après-midi d’août ; dans cette région, la température peut s’élever
jusqu’à quarante degrés en été, et les soldats romains, immobiles à leur poste,
n’avaient pas grand-chose à boire ni à manger. Après la ration du matin, aucune
distribution n’avait été faite, et les chevaux commençaient eux aussi à
souffrir de la soif. Çà et là, sur la plaine, l’herbe sèche se mettait à brûler,
et le vent poussait la fumée âcre dans la direction des Romains ; selon
Ammien, les Goths avaient préparé à l’avance du bois et des combustibles pour
allumer ces incendies. Enfin, leurs émissaires acceptèrent de retourner voir
Fritigern pour lui expliquer que l’empereur voulait bien négocier, mais qu’il
souhaitait que l’entretien ait lieu entre chefs.
Les raisons pour lesquelles Valens se laissa persuader de
négocier ne sont pas claires, puisqu’il était parti d’Andrinople fermement
décidé à en finir une fois pour toutes avec les barbares. Peut-être était-il
ébranlé par la vision de l’immense enceinte de chariots, qui lui fit penser que
l’ennemi était plus fort qu’il ne l’avait cru ; peut-être était-il
simplement mû par le vieux réflexe conditionné de tous les dirigeants romains, en
ce temps où l’empire avait désespérément besoin de bras : là-bas, dans ces
chariots, il y avait une main-d’œuvre précieuse, des hommes valides pouvant
être enrôlés séance tenante dans l’armée, ou envoyés cultiver les exploitations
agricoles du domaine impérial, comme cela avait été le cas avec les prisonniers
taïfales déportés en Italie et installés, à la satisfaction générale, dans la
plaine du Pô. Massacrer tous les Goths, maintenant qu’ils étaient pratiquement
entre ses mains, aurait été un gaspillage inutile.
8.
Fritigern fut informé que Valens était prêt à entamer des
négociations, mais seulement avec les chefs, et il fit répondre à l’empereur qu’il
viendrait en
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