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Le jour des barbares

Le jour des barbares

Titel: Le jour des barbares Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alessandro Barbero
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civiles du III e  siècle, il y avait eu
de grands empereurs tels que Dioclétien et Constantin, et des hommes de cette
trempe faisaient encore partie de la grande histoire de Rome. Mais après
Andrinople on croyait pouvoir dire que cette histoire était finie, et qu’une
autre commençait, beaucoup moins gratifiante selon le point de vue d’alors :
celle de l’Empire byzantin.
    Un autre facteur a fait d’Andrinople, aux yeux des
historiens, un tournant décisif de l’histoire ; par un effet, cette fois, de
l’imagination plus que du raisonnement. Forte est en effet la tentation de voir
dans cette bataille le triomphe de la cavalerie, qui annonce déjà le Moyen Âge,
sur l’infanterie, incarnation de la Rome antique. Andrinople apparaît comme la
dernière bataille des légions, la fin de l’armée romaine, qui après cette
défaite ne serait jamais plus la même ; on a voulu y voir l’avènement, non
seulement d’une nouvelle manière de combattre, mais de tout un monde de valeurs
et de symboles issu des peuples barbares et opposé à celui de l’Antiquité.
    Les lecteurs qui ont eu la patience de nous suivre jusqu’ici
savent que ces interprétations dramatiques en termes de « choc des
civilisations », quand on regarde les choses d’un peu plus près, ne tiennent
pas la route. L’armée romaine était un organisme bien trop immense pour mourir
en une seule bataille, et effectivement elle continua de combattre durant
plusieurs siècles, et même plutôt bien ; par ailleurs elle était déjà en
cours de transformation, car dans l’histoire rien n’est jamais stabilisé une
fois pour toutes. On s’imagine qu’il y avait une différence radicale entre l’armée
de Valens et celle de Fritigern, en identifiant l’une avec le passé romain et l’autre
avec l’avenir médiéval, parce qu’on se représente Rome et les barbares comme
deux réalités étrangères l’une à l’autre. Nous avons vu qu’il n’en était rien :
ces deux armées étaient presque identiques, composées plus ou moins de la même
façon, et munies des mêmes armes. Doit-on en conclure que la rupture symbolisée
par Andrinople doit être reconsidérée, et qu’en définitive cette bataille ne
fut pas si décisive que cela ? Non : elle a bien eu des conséquences
à long terme, et d’une énorme portée ; mais peut-être ont-elles été un peu
plus complexes qu’on le dit habituellement.

5.
    Le matin qui suivit la bataille, les Goths commencèrent à
réaliser l’étendue de leur victoire. Si vraiment le corps de l’empereur Valens
disparut parmi les tas de cadavres et ne fut plus jamais retrouvé, il se peut
que les barbares n’aient pas tout de suite su qu’ils l’avaient tué ; mais
l’armée romaine qui avait marché contre eux la veille n’existait plus. Il y
avait tellement de morts que ce n’était même plus la peine de les dépouiller, bien
plus d’armes et d’armures qu’il n’en fallait pour réarmer tous les Goths. Les
peuples barbares, en règle générale, après une victoire comme celle-là, s’arrêtaient,
parfois très longtemps : pour festoyer, pour célébrer des rites religieux,
ou simplement parce qu’ils n’avaient aucun autre projet, aucune idée de ce qu’ils
allaient faire ensuite. Mais nous savons déjà que les Goths n’étaient plus des
barbares ; ils étaient en contact depuis trop longtemps avec le monde
romain, ils apprenaient vite, et leurs princes, surtout Fritigern, avaient une
vision stratégique de la situation. C’est pourquoi, le matin même, au lieu de s’attarder
sur le champ de bataille, les Goths se mirent en marche vers la ville d’Andrinople.
    Ils l’avaient déjà assiégée une fois par le passé, et sans
succès, ce qui avait conduit leur chef à cette fameuse déclaration selon
laquelle il ne leur convenait pas de faire la guerre aux murs ; mais maintenant
ils avaient une raison précise d’y retourner. Les Goths savaient en effet, grâce
aux traîtres et aux déserteurs, que les membres du consistoire, les enseignes
impériales, et surtout le trésor de Valens, étaient restés à Andrinople. Il
valait donc la peine de retenter l’expérience, et Ammien Marcellin ne fait que
répéter un lieu commun lorsqu’il déclare que les barbares se dirigèrent vers la
cité dans l’intention de la détruire, « comme des fauves rendus plus
monstrueusement sauvages par l’excitation du sang ». En réalité, ce n’était
pas du tout un

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