Le jour des barbares
Goths n’étaient
pas loin, et même si tout le monde savait que, jusqu’à présent, ils n’avaient
jamais réussi à prendre une ville, la peur qu’ils suscitaient était décuplée
par les derniers événements. On imagine la panique qui s’empara des habitants
de Constantinople quand ils apprirent qu’après avoir saccagé les campagnes
environnantes et avoir tué ou réduit en esclavage la plupart des paysans, les
barbares se rapprochaient. L’attrait des richesses concentrées dans la métropole
était trop fort, et les Goths avaient décidé de tenter un grand coup. Ils se
déplaçaient prudemment, comme s’ils n’arrivaient pas vraiment à croire que l’armée
romaine avait bel et bien été liquidée ; ils avaient déjà fait de mauvaises
expériences, et ils craignaient toujours d’être attaqués par surprise pendant
leur marche. Ils finirent tout de même par arriver, et installèrent leur campement
devant les murs de Constantinople.
Naturellement, il restait des troupes dans la ville, mais en
nombre insuffisant pour livrer bataille aux Goths ; les commandants
romains pouvaient tout au plus espérer occuper les assaillants avec quelques
actions de harcèlement. Ils avaient justement sous la main les troupes les plus
adéquates. Dans la capitale, en effet, étaient stationnés des détachements de
cavaliers arabes, ou plus exactement sarrasins, comme on les appelait alors. L’armée
romaine, nous l’avons vu, recrutait des mercenaires dans les pays les plus
lointains ; les Arabes, au demeurant, n’étaient pas un peuple particulièrement
exotique. Il y avait des Arabes sujets de l’empire, et chrétiens, et il y avait
des Arabes nomades qui, depuis longtemps, avaient conclu des traités avec Rome,
fournissant des mercenaires et escortant les caravanes pour le compte des
Romains. L’armée que Valens avait rassemblée pour la guerre contre les Goths
comprenait des bandes de cavaliers arabes, et quelques-unes de ces bandes
avaient peut-être été détruites lors de la bataille d’Andrinople ; mais l’une
d’entre elles, au moins, était restée dans la capitale. Ammien Marcellin
souligne qu’en tant que combattants ces Sarrasins ne valaient pas grand-chose, mais
qu’ils avaient la razzia dans le sang, et que les généraux romains les
utilisaient surtout comme éclaireurs et pour les envoyer chercher des vivres et
du fourrage dans des expéditions à grande distance. Cette fois, néanmoins, un
jour où une troupe de Goths se rapprochait un peu trop des murs de la ville, les
Sarrasins sortirent les attaquer ; pendant le corps à corps, un des leurs
vainquit un Goth, lui trancha la gorge avec son couteau, posa sa bouche sur la
blessure et but son sang.
Nous ne savons pas quelle signification rituelle ou magique
ce geste pouvait avoir pour les Bédouins, mais les Goths en furent épouvantés :
ces énergumènes aux cheveux longs, qui combattaient pratiquement nus en
poussant des cris sauvages et buvaient le sang de leurs ennemis, étaient décidément
trop barbares pour un peuple désormais en partie romanisé et christianisé tel
que les Goths. À partir de ce moment, nous dit Ammien, leur détermination
commença à faiblir. Ils voyaient l’immensité des murs qui défendaient Constantinople,
et derrière les murs tous ces édifices à plusieurs étages qui paraissaient s’étendre
à perte de vue ; et plus ils prenaient conscience des dimensions de la
cité, plus ils étaient démoralisés. Ils finirent par renoncer à l’assiéger et s’en
allèrent : pour le moment, les grandes villes de l’empire restaient une
proie supérieure à leurs forces.
XI
THÉODOSE
1.
Comment le gouvernement impérial réagit-il quand l’ampleur
de la défaite d’Andrinople fut connue, et surtout quand on comprit que Valens
avait disparu au cours de la bataille ?
Dans l’empire d’Orient, de fait, il n’y avait plus de
gouvernement, car le gouvernement, dans l’Empire romain, s’identifiait
étroitement avec la personne de l’empereur. Ce n’était pas un hasard si les
ministres, les enseignes du pouvoir, et même le trésor impérial, avaient suivi Valens
lors de ses déplacements. Maintenant tous ces gens et tous ces biens précieux
étaient en fuite à travers les défilés des Balkans ; à Constantinople il n’y
avait pas d’autorité en mesure d’assumer le pouvoir, même provisoirement, et
pour une fois aucun général n’eut envie de profiter de la situation
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