Le jour des barbares
pour
usurper le trône. Du côté occidental, en revanche, il y avait toujours un
empereur, donc un gouvernement. Il y en avait même deux : Gratien, que
nous connaissons déjà, et son petit frère Valentinien II. Dès qu’il apprit
que l’armée d’Orient avait été laminée et que son oncle était mort, Gratien fit
demi-tour avec ses troupes et s’arrêta en Illyrique, pour défendre son empire
au cas où les barbares auraient eu l’intention de se diriger vers l’ouest. C’était
à lui et à ses ministres qu’il revenait de choisir un nouvel empereur pour
diriger la partie orientale du monde romain, et il leur fallut quelques mois
pour trouver le candidat adéquat : en janvier 379, l’un des généraux
de Gratien, Théodose, fut proclamé empereur d’Orient.
Avec Théodose, le dernier grand protagoniste de notre
histoire – dans le camp romain, s’entend – entre en scène. Plus que tout autre,
il s’employa, durant les années qui suivirent la défaite d’Andrinople, à
refermer la plaie et à redresser, autant que faire se pouvait, la situation. Mais
avant d’examiner de plus près la personnalité et l’action de Théodose, il faut
revenir un instant sur la façon dont il fut élu. L’empereur d’Occident avait
nommé celui d’Orient ; et il est vrai qu’étant donné les circonstances il
ne pouvait en être autrement, puisqu’en Orient l’armée susceptible de produire
un candidat n’existait plus. La même chose avait déjà eu lieu dans le cas de
Valens : l’armée d’Occident avait d’abord acclamé Valentinien empereur, et
ensuite seulement le nouvel empereur avait décidé d’envoyer en Orient son frère
cadet, Valens. Du point de vue politique, justement, l’Orient apparaissait
comme le frère cadet de l’Occident, et ce pour de nombreuses raisons : l’empire
était né en Occident, Rome était en Occident, les sénateurs les plus riches
étaient ceux d’Occident ; les régiments occidentaux de l’armée, par
tradition, étaient les plus aguerris, et ils étaient aussi ceux qui parvenaient
le plus aisément à imposer leurs candidats. Et puis l’Occident, c’était le
latin, et le latin était encore la langue de l’armée et de la loi. Mais cette
condition de minorité politique commençait à être difficile à supporter pour l’Orient,
conscient depuis assez longtemps d’être la partie la plus peuplée, la plus
riche et la plus civilisée de l’empire. Constantin n’avait fait que reconnaître
un état de fait quand il avait transféré la capitale de l’empire sur le
Bosphore. Dans cette insatisfaction de l’Orient grec face à l’hégémonie politique
et militaire de l’Occident latin, il y avait en germe une compétition, voire
une hostilité, entre les deux parties de l’Empire romain, qui n’allait pas
manquer de se développer ouvertement un peu plus tard.
2.
En janvier 379, donc, l’empereur Gratien, avec le
consentement de l’armée, nomma empereur d’Orient un de ses généraux, Théodose, que
les historiens appellent aussi Théodose I er ou Théodose le
Grand. Qui était-il exactement ?
Comme presque tous les empereurs, c’était un militaire de
carrière. Il venait de la région la plus occidentale de l’empire, l’Espagne, et
il n’était âgé que de trente-deux ans, mais il avait déjà de l’expérience à
revendre – trop même, peut-être. Son père, Théodose l’Ancien, avait été le
général le plus célèbre du temps de Valentinien, s’était battu presque partout,
de la Grande-Bretagne à l’Afrique, et le jeune Théodose l’avait suivi dans tous
ses déplacements, si bien que, dès l’âge de vingt-six ou vingt-sept ans, il
avait été nommé gouverneur d’une des provinces frontalières. Bref, c’était un
homme qui avait derrière lui les relations qu’il fallait et qui paraissait destiné
à une brillante carrière ; mais dans l’Empire romain les carrières s’achevaient
parfois très vite et très mal. Valentinien avait commencé à se méfier de
Théodose l’Ancien, trop populaire parmi ses soldats – exactement le genre de
général qui aurait pu tenter un coup d’État. Il l’avait donc éloigné des postes
de commandement et avait monté un procès politique contre lui. Puis Valentinien
était mort, et ses deux fils, Gratien et Valentinien II, n’avaient pas
plus que leur père envie de s’inquiéter d’un homme aussi encombrant que
Théodose l’Ancien : ils le firent
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