Le jour des reines
brève révérence, allongea le pas et, se sentant suivi, fit front, menaçant. Il reconnut alors un prédicateur qu’il avait vu dans le bourg d’Ashby, sermonner les nobles et leurs dames.
— What do you think about the war ?
— Laissez-moi !
— Que pensez-vous de la guerre avec le royaume de France ?
Pourquoi ce donneur de leçons lui remettait-il en tête des horreurs qu’il avait oubliées ?
— Êtes-vous gascon ? Breton ?
— Breton. J’ai servi messire de Montfort. Je lui ai même sauvé la vie.
— Son fils sera présent aux joutes de dimanche. C’est un noble jouvenceau décidé à poursuivre l’œuvre de son père et de Jeanne, sa mère. Vous l’avez vu, évidemment.
— Évidemment, soupira Ogier.
Après avoir menti à Griselda, il fallait qu’il mentît à cet importun. La valeur du fils de Jean de Montfort [175] le laissait indifférent. Il sentit venir un chapelet de questions déplaisantes et s’indigna d’être saisi doucement par le bras :
— Assisterez-vous à la grand-messe de dimanche ? Croyez-vous à Notre-Dame ? Mon nom est William Langland [176] , de Malvern. Ce seront mes secondes joutes, mais je ne courrai aucune lance. Je les verrai et les raconterai. J’aime à écrire… Que pensez-vous de la Vierge Marie ?
Ce gêneur méritait d’être assommé.
— Messire !… Je ne vous permets pas de douter de ma foi !
— Tout doux, l’ami, tout doux… Je pense à Dieu tout autant que vous-même. Mais croyez-vous que Marie…
— Messire, c’est assez !
— N’avez-vous point ouï-parler de Walter Lollard en Bretagne ? Quelques-uns de ses fidèles doivent se rencontrer à Ashby, mais j’ignore quand et en quel lieu [177] .
— Veuillez lâcher mon bras !
— Il y a des lollards parmi les chevaliers, parmi les manants… Je ne cherche point à vous… retenir… J’aurais souhaité, ce soir, puisque nous nous sommes… euh… rencontrés un peu fortement, vous montrer la vraie voie… Mais, par Dieu, vous quittez le chemin… Toute cette herbe est noire, piquante.
— Messire, nous foulons des couronnes d’épines… En êtes-vous marri ?
L’homme s’était arrêté. « Un fou », songea Ogier. Il allongea le pas pour se fondre dans l’ombre aussi vivement que possible.
— Où allez-vous ainsi ? Vous vous égarez !
— Vous vous égarez aussi, messire, je le crains !
— Où allez-vous ? insista le gêneur.
La réponse vint, cruelle mais nécessaire :
— Je vais chier, messire. Il me plaît d’être seul.
*
— J’ai bien cru que tu ne viendrais pas… J’avais peur…
La confidence valait son poids. Guillaume angoissé ! Ogier, qui s’était enfoncé sous la tente, faillit sourire.
— Je suis venu seul, mon oncle. Il m’a fallu du temps pour déjouer la surveillance des hommes d’armes. Je vous ai apporté ceci…
Guillaume éprouva le mordant de la lime avec autant de contention que s’il s’était agi d’une lame d’épée.
— C’est peu de chose en vérité, mon neveu… N’as-tu pas une arme ?
— Hélas !… La seule que je possède est un long bow… et un plein carquois de sagettes… Non, je n’ai rien… Demain, dès qu’on vous ramènera céans, il faudra limer avec votre compère, aussi vivement que vous le pourrez.
Ils étaient si serrés l’un à l’autre qu’ils mêlaient leurs haleines. Dans l’ombre, des corps bougeaient, parfois avec un cliquetis. Une âcre odeur de peaux malpropres dominait celle de la sentine toute proche. Quelqu’un toussa ; une quinte qui n’en finissait plus. Ogier devina un homme jeune, secoué de soubresauts convulsifs accompagnés de violentes nausées.
— C’est Béranger Babin, dit Guillaume. Un picquenaire qu’ils ont fait prisonnier au siège d’Aiguillon, lors d’un des derniers grands hutins entre les nôtres et les Goddons. Quand le comte de Boulogne tomba sous son coursier [178] , Babin, qui le croyait encore en vie, courut à son secours. Les Goddons l’ont pris, congratulé pour son courage et il fut épargné alors que, tu le sais, ils sont sans pitié pour le menu fretin… On ne peut rien pour lui. Il est blanc comme un suaire et crache le sang…
— J’ai vu Tancrède, mon oncle, et je lui ai parlé.
Un silence. Un grognement. Plus rien. Une lassitude immense étreignit Ogier. Cette évasion qui lui avait paru aisée dans ses prémices commençait à se révéler jonchée d’embûches. À
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