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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Guillaume avec rage, c’eût été de nous mettre chacun à un bout de ce champ et de nous courir sus à un commandement !
    —  Premièrement, je vous envoie un volet de blanche soie, fait à la façon du pays de ma nativité, lequel veux que vous chargiez et portiez à votre bras senestre.
    Aussi tourneboulée que le héraut, une brune jouvencelle traversait le champ, sans crainte d’y souiller sa robe, tenant sur un coussinet, soigneusement plié, le voile blanc de la demanderesse. Brackley se pencha pour qu’elle le nouât à sa cubitière et du bout de ses doigts lui souffla un baiser. Suivirent alors, après que la foule eut ovationné la pucelle et le baron, les conditions des combats : trois courses à la lance de guerre ; quinze coups d’épée, à cheval ; puis combat à pied, à l’épée, à la hache ; et si nul ne vainquait alors, on recommencerait à la lance, mais à selle rase [278] .
    — Par le glaive de messire saint Michel, grommela Barbeyrac, cette commère n’est point trop exigeante.
    Il riait. Il alla d’un galop lancer son gantelet à Brackley, mais il le fit comme s’il s’agissait d’une fleur.
    « À moi », songea Ogier tandis que le héraut de Brackley s’en allait, accompagné de la pucelle dont la dextre s’appuyait sur son poing.
    Attentive et glacée, la foule se taisait. Ogier regarda ce moutonnement de têtes et de corps d’un coup d’œil aussi large que possible et aperçut les plumassières accoudées à la barrière toute proche du pavillon des appelants. Elles avaient passé leurs atours du dimanche et s’étaient coiffées de bonnets à aigrettes. Elles avaient le choix ! Autour d’elles, les huves, les aumusses, les tourets parfilés ou non demeuraient immobiles. On eût dit qu’un enchantement avait frappé tout ce peuple, aboli ses haros, ses rires, ses injures. Faces, profils figés par une attente mortelle. Couples se réchauffant d’une étreinte oubliée, jeunes en mal d’amour enlacés plus encore, familles, esseulés des deux sexes se coudoyaient et se frottaient dans la même haine, la même joie, la même impatience de voir trois Franklins mourir. Cet homme dont le sourire retroussait les babines poilues, cette femme en cheveux qui se mouchait avec ses doigts, et ces enfants dans les arbres, telles de grosses araignées aux aguets, n’attendaient qu’une chose : trois trépas successifs. Lui, Ogier, se sentait enveloppé des filaments de cette haine. Wilf lui-même, si faussement prévenant, avait changé : il était revenu dans son camp, offrant aux Franklins détestés non plus un sourire, mais une face plate, rancunière, où la servilité envers ses maîtres revenait, créatrice de rides et de blêmissements. Le maréchal de lice, dont l’équité devait être l’essentiel trait de caractère, semblait avoir choisi son parti ; il souriait aux siens, même à la populace, et tout en attendant le héraut de Cobham, Ogier pouvait examiner cet homme d’apparence froide et découvrir dans ses prunelles autant de malice ou de vilenie que dans celles des chevaliers appelants. S’il ne se souvenait que du prénom de ce suprême juge – Russell –, il pouvait y accoler celui de Nebiros, maréchal de camp des légions diaboliques. Il le décevrait ; il le courroucerait. Il les courroucerait et consternerait tous, du roi jusqu’au dernier huron de cette fête, sauf Tancrède, évidemment.
    — Ah ! voilà notre oiseau, dit-il, soulagé.
    Le héraut de Cobham était grand, maigre, hautain, le visage coupé d’une moustache sombre dont les pans lui mangeaient les commissures de la bouche. Le froid et la pluie avaient rougi son nez et ses oreilles. Sa dalmatique lui battait les genoux. Liés à ses heuses de daim par des lanières de cuir rouge, ses éperons tintaient. Il souriait ; il lui manquait des dents. Barbeyrac s’ébaudit une nouvelle fois :
    — On dirait Burgibus [279]  !… Pas vrai ?… Holà, détourne-toi, Argouges : Cobham se desheaume afin de te mieux voir.
    Ogier se cantonna dans une indifférence pénible.
    — Il a l’air de te vouloir mordre ! ricana Guillaume.
    — Eh bien, laissez-le à sa haine envers moi. Vous connaissez le proverbe : Vieille rancune est pire que mauvais malon [280] . Plus il me haïra, plus sa vigueur pourrira.
    — Je voudrais bien pouvoir te croire, soupira Guillaume.
    — Regarde un peu ce falourdeur [281]  ! enragea Barbeyrac. Il nous toise comme si nous étions trois

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