Le jour des reines
amis, serions-nous sûrs que ce breuvage n’est pas enherbé !
Le porteur du cruchon tira la langue au solliciteur et à ses compères.
— No French !
Un tumulte de railleries et d’imprécations souligna ce refus. Au loin, des têtes se tendirent : on voulait voir ou tout au moins savoir. La barrière pencha sous la poussée des corps. Wilf traversa le champ et menaça les agités. Deux guisarmiers le rejoignirent, passèrent dans l’allée qui séparait les combattants de la foule et, l’estoc en avant, feignirent de sévir. Les gens refluèrent. Il y eut des jurons et des lamentations.
— Tu n’aurais pas dû, Étienne ! reprocha Guillaume. Un peu de dignité ne te messiérait pas !
L’intuition que son oncle ne boirait plus du vin de ses vignes pénétra Ogier, âpre comme une gorgée de vinaigre.
— Messire de Barbeyrac, y êtes-vous ? cria le maréchal de lice.
— J’y suis presque.
Guillaume aida son compère à monter sur son fauveau et à chausser les étriers. Ogier lui tendit son bassinet dont il rabattit immédiatement la ventaille.
— Tu pouvais attendre pour avaler ton viaire [290] …
— Attache le heaume à ton colletin, conseilla Guillaume.
— Je suis trop impatient !… Passe-moi cet écu, Rechignac. Et toi, la lance.
Ogier en prit une sur le tas.
— Je vais vous montrer, compagnons, comment on peut rougir ce morceau de fer autrement que dans un brasier de forge !
En face, Brackley attendait, lance prête. Il mena son cheval à l’extrémité de la barrière dont il choisit le côté dextre, face à Barbeyrac.
— Merdaille ! enragea Ogier. Il tient son bois à senestre [291] !
— N’aie crainte, mon neveu, chuchota Guillaume. À force d’avoir accompli des œuvres de huron, Barbeyrac sait se servir de ses deux mains et de ses deux bras tout aussi bien !… Ces lances de guerre sont pourvues de fers de Bordeaux, les meilleurs, les plus terribles.
— Tiens-toi prêt ! cria Ogier.
Le maréchal de lice avait levé la main. Il l’abaissa en hurlant :
— Laissez-les aller ! Laissez-les aller ! Laissez-les aller !
Un silence complet, angoissé, tout autour de la lice. Dedans, le tambourinement de huit sabots ferrés.
Dans les tribunes, à l’instigation du roi, l’assistance s’était levée.
Acculé à son troussequin, les jambes roides, portées en avant, la lance bien en main, fortement assujettie sous l’aisselle ; à l’abri derrière sa targe et tout occupé de la course de son fauveau accoutumé à courir adestré Barbeyrac semblait mépriser l’arme qui s’approchait à sa rencontre.
Il se baissa promptement, et releva sa lance vers la tête de l’Anglais.
Les feuilles d’acier heurtèrent simultanément le bouclier adverse et le pénétrèrent. Celui de Brackley, comme détaché du corps et rompu en son milieu, dessina un double vol dans l’espace. Les fragments tombèrent sur l’herbe alors que le jouteur hurlait, aveuglé, ahuri, furieux du coup qui l’avait éborgné tout en tournant sa coiffe de fer sur sa tête, de sorte qu’il y étouffait en s’écrasant le nez contre sa paroi.
Les deux tronçons de lance avaient chu lors du heurt. Le bélier qui timbrait le heaume de l’Anglais avait perdu ses cornes ; les coquilles du cou s’étaient éparpillées. Exaspéré par le choc et le cri de son maître, le cheval de Brackley hennit, rua et faillit désarçonner le blessé avant de l’emporter tout au fond de la lice – chez les Français.
Agrippé de côté à la crinière du roncin, Brackley pleurait du sang par son œil invisible, essayant d’une main de rajuster son heaume ou de l’enlever.
— Tu ne peux plus courir une autre lance ! hurla Barbeyrac en relevant sa ventaille. Impudent que tu es !… Va quérir ton épée ou fais-t’en porter une… Bats-toi à pied si tu ne peux tenir en selle !… Viens vers moi, que je crève à présent ton œil dextre !
Le maréchal de lice accourut au galop.
— Messire…
— What, messire ? Avez-vous pour ce coup un reproche à me faire ? Qu’ai-je donc transgressé pour vous voir courroucé ?… Je parole, il est vrai, mais lui ? N’a-t-il point juppé ? Maintenant, il gémit !
— Je ne vous fais, messire, aucun reproche, mais…
— Mais quoi ?… Nous avons accepté de tourner jeu à ire [292] . Il convient que nous en supportions tous les conséquences.
Le maréchal de lice eut un geste agacé :
— Puis-je
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