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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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renoncé à son heaume. Barbeyrac par dédain en avait fait autant. Ils n’osaient se porter des taillants à la tête, et les attaques à l’épaule et à la hanche avaient été parées avec autant de promptitude par l’un que par l’autre.
    Le sang, sur le bandeau de l’Anglais, formait un coquelicot dont la tige s’allongeait. Il devait en sentir contre sa joue la caresse gluante ; bientôt, elle atteindrait son cou.
    Après ses cris hostiles au Français lors des premiers croisements d’épées, la foule, muselée d’anxiété, n’osait trop remuer, de crainte qu’un geste imprégné de violence n’allât jusqu’à détourner l’attention de son champion.
    Barbeyrac prenait son temps pour ne frapper qu’à bon escient. Sur les trois coups de lance du défi de Brackley, un seul avait suffi. Des quinze coups d’épée à cheval qui venaient ensuite, pas un ne serait fourni. Il n’y avait aucune limite à ceux qu’ils s’assenaient, avec de grands ahans de haine et d’abattage.
    Les jouteurs s’étaient approchés. Si certains demeuraient en selle, la plupart, abandonnant leur destrier à un serviteur, s’étaient accoudés aux barrières. Les figures de leurs cimiers mettaient de la couleur et de la gaieté sur la croûte des chaperons et coiffures de femmes dont seuls les escoffions semblaient vouloir leur disputer la palme de la hauteur. L’un de ces ornements, réduit à une tête de cygne [294] se pencha vers le chaperon bleu d’une jouvencelle : l’amour, dans la cohue, se frayait un passage.
    « Holà ! un cygne… Peut-être vient-il de trouver sa Léda. »
    Ogier soupira de mélancolie et se tourna vers son oncle. Si Barbeyrac tuait Brackley – ce dont il ne doutait –, Dartford serait féroce en sa vengeance. Mais ne l’était-il pas déjà au naturel ?
    Guillaume semblait ne rien vouloir connaître du combat de son compère. Il allait et venait devant le pavillon, crispant et décrispant ses doigts, soulevant parfois ses épaules pour les soulager de l’épais fardeau des mailles ; bâillant d’une façon abusive et sonore, puis marchant jusqu’à son cheval afin de caresser son encolure tout en lui murmurant des encouragements.
    — Oh ! regardez !
    Guillaume se retourna. Ogier commenta :
    — Barbeyrac à prise fait contreprise !
    Le Français venait de saisir de sa main gauche l’épée de Brackley qui avait empoigné la sienne pour éviter une estocade juste sous sa baconnière. Les lames glissèrent sur les cuirs des gantelets. Barbeyrac dégagea le premier la sienne et, comme une esquive éloignait Brackley, il l’embrocha au ventre.
    L’Anglais tomba sans une plainte et se tortilla dans l’herbe autant que son armure le lui permettait. Deux juges accoururent, devançant le maréchal de lice. Barbeyrac se pencha au-dessus du vaincu.
    — Messire, dit-il, vous avez su me résister comme un preux. Dieu vous accueille en son bleu Paradis.
    Et sans plus se soucier du mourant, il rejoignit ses compagnons.
    — Je n’aime pas voir crever un homme de cette façon, dit-il, mais en l’épargnant, je l’aurais obligé à vivre dans l’opprobre.
    — On peut s’en contenter, parfois.
    Ogier pensait à son père, à sa famille, à tous les serviteurs qui, après l’inique et féroce dégradation de Godefroy d’Argouges, avaient choisi, justement, de vivre dans le mépris, le dénuement et la honte.
    — Je ne te savais pas si hardi à l’épée, dit Guillaume.
    — Ai-je vraiment du mérite ?… À Toulouse, mon compère, j’ai reçu les meilleurs conseils et leçons d’un escrémisseur du nom d’Armengaud, qui lui-même les tenait d’un Parisien [295] . Ce Goddon ne pouvait me vaincre.
    Là-bas, on dégageait le champ : deux sergents tiraient Brackley par les pieds. Sa tête frottant le sol, il avait perdu son bandeau. On eût dit un serpent rouge lové dans l’herbe froide.
     
    *
     
    — À qui des deux ? demanda Guillaume au maréchal de lice. Moi ?
    Il semblait pressé d’en finir.
    — Patientez, messire, dit Russell Chalk. Messire Renaud de Cobham, avec l’agrément de messire Dartford, souhaite affronter Ogier d’Argouges sans retard.
    Barbeyrac déposa un escabeau devant Guillaume contrarié.
    — Assieds-toi, dit-il, sans quoi tu seras amoindri quand ce sera ton tour. Ogier, prends mon épée puisque tu n’en as pas… Assieds-toi, Guillaume !
    Le vétéran obéit. Ogier se récita le commencement du défi de Cobham :

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