Le jour des reines
le Livre aux Anglais. Guillaume, à son tour, et pour les trois Français, fit un serment pareil, sauf qu’il crut bon d’insister sur un point. C’était parce que, chevaliers pauvres, ils ne pouvaient acquitter leur rançon que les trois otages qui se trouvaient là n’avaient eu qu’un seul recours à leur infortune : la fuite. Ils ne se repentaient point d’avoir agi comme ils l’avaient fait : tout prisonnier amoureux de son pays, de son roi, de sa famille, de ses terres et de son château et des amis qu’il s’était faits dans la paix comme à la guerre, n’avait qu’un seul devoir impérieux : l’évasion.
Nul ne broncha. Ogier et son oncle baisèrent la Croix et les Évangiles, assez écœurés – ils le montrèrent – que les Anglais y eussent apposé leurs lèvres avant eux. Barbeyrac, pour bien exprimer son dégoût, baisa l’envers du Livre et de la sainte Croix. Et tandis que l’évêque horrifié d’un tel sacrilège repartait comme il était venu, cramponné, rencogné au fond des accoudoirs, Guillaume s’informa auprès du maréchal de lice :
— Qui commence ?
— Moi ! cria Simon de Brackley.
— Soit, dit Barbeyrac, placide. Tu me parais pressé de rendre à Dieu ton âme !
Il se penchait, avide et enjoué, vers l’Anglais. Ses pupilles brillaient d’une noirceur mortelle.
— Depuis deux ans que j’ai grande envie de me battre, voilà enfin mon rêve en voie d’accomplissement !
Chacun à pied, les rênes de son cheval dans la main, revint devant son pavillon. Une rumeur montait autour du champ. « Bien clairvoyant », se dit Ogier, « qui pourrait en définir la nature. » Il regarda brièvement, serrés, accoudés, comprimés le long des barrières, ces gens repus de mangeailles avalées sur le pouce, gorgés de cervoise et de vin, mais assoiffés de sang : des jouvenceaux joyeux, de vieux pouacres moroses, quelques belles filles aux bouches goulues, les cheveux toupillés par le vent et la pluie, et des laideronnes de tous âges, grimaçant comme des singesses. Sine nomine vulgus eût dit Arnaud Clergue en se signant. C’étaient les mêmes, sans doute, qui s’étaient délectés d’assister à la mort d’un vieil ours assailli par des veautres. Mais pourquoi se tournait-il vers Guillaume ?
Un galop lui fit remuer la tête en sens inverse. Un jeune chevalier accourait, tenant dans sa senestre trois écus d’apparence neuve ; des écus plains et qui tous avaient une buffe [288] . Tous trois étaient d’azur.
— Messires, c’est tout ce qui vous faisait défaut.
Et à Ogier :
— Je suis Courageux de Masny, le neveu de l’homme auquel vous devez la vie. Il m’a dit que si vous surviviez à l’épreuve, il vous tiendrait quitte d’une rançon dont, d’ailleurs, il n’avait pas établi le montant… Oh ! vous pouvez regarder l’échafaud du roi, où il se trouve, effectivement. Il ne veut plus vous voir. Si vous passez un jour trop près de son épée, vous perdrez cette vie qu’il vous avait rendue.
Ogier regarda dans les yeux ce damoiseau sans façon ni jactance et, d’une voix assez basse pour que Guillaume ne pût l’entendre :
— Votre oncle, messire, est un preux. Je suis certain que, faute de sauf-conduit, il eût agi à ma façon… Je lui dois d’être en vie et n’en disconviens pas… S’il veut m’occire un jour, mon épée me protégera des atteintes de la sienne sans jamais le vouloir tailler ni pourfendre.
Courageux de Masny acquiesça, un sourire bienveillant à la bouche.
— Dites-lui également, messire, que si Renaud de Cobham est son ami, il ne tardera pas à le voir étendu sur cette herbe comme un cuissot de cerf sur un lit de persil.
Avec lenteur, le jeune Anglais éleva sa dextre et, d’une voix grondeuse et rieuse à la fois :
— Messire, faites au mieux, et que Dieu vous protège !
Son cheval, un rouan qui eût labouré une journée entière sans fatigue, ambla légèrement puis se mit au galop. Barbeyrac qui s’était occupé des écus, les trouva irréprochables :
— Épais comme le crâne d’un Breton… Guiges parfaites et énarmes solides [289] . Ils auraient pu nous les porter en même temps que les armures.
— Ils s’emploient à titiller nos nerfs, dit Guillaume.
Comme un cruchon passait tout près de bouche en bouche, et qu’un sommelier, derrière les heureux du premier rang, brandissait une gargoulette, Barbeyrac tendit la main :
— Au moins, les
Weitere Kostenlose Bücher