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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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épée [312] , sans quoi nous n’aurions rien pour soutenir notre arme. J’ai l’intention, en souvenir et par prudence, de conserver cet habit de fer.
    — Moi aussi, dit Ogier. Je ne regrette rien : ce Goddon fut moult secoué. Si mes plaies sont cicatrisées, celles que j’ai faites à son orgueil vont suppurer jusqu’à sa mort.
    Barbeyrac abandonna le Noiraud et s’approcha :
    — J’ai observé Édouard. Il était moins courroucé contre son homme lige que contre toi. En châtiant Cobham, tu as attenté à son honneur de roi… Mais pourquoi as-tu épargné cet ignoble ?
    Ogier, du menton, désigna Guillaume assis, tête basse, devant le pavillon :
    — Pour le préserver, lui. Si Cobham est un juste, il pourra le sauver.
    Barbeyrac acquiesça, mais ses lèvres pincées révélèrent son inquiétude. « Dois-je lui confier », se demanda Ogier, « la prière que je viens d’adresser à Russell Chalk ? » Un murmure de la foule changea le cours de ses pensées.
    La belle Jeanne et ses suivantes traversaient le champ. Éthelinde les accompagnait – en retrait –, porteuse d’un gros cruchon qui la déhanchait sans pourtant nuire à sa démarche. Sa puînée, toujours aussi maussade, tenait un petit panier dans lequel tintaient des gobelets. La reine et Tancrède soulevaient leur manteau et leur robe à deux mains ; les sœurs de Winslow d’une seule.
    Elles allèrent prodiguer de bonnes paroles au vaincu et à Dartford. Ensuite, elles leur versèrent à boire. Quant ce fut fait, en se riant ou non d’incommoder la foule, elles marchèrent vers les Français.
    Tancrède et Odile semblaient ouvrir la voie à la reine. Bien qu’elles ne se touchassent pas, il y avait un enlacement, une connivence alanguie dans l’accord doucereux de leurs épaules et de leurs cuisses. De loin, Éthelinde les épiait.
    — Boudious ! s’exclama Barbeyrac, je me sens rougir de plaisir.
    Ils furent entourés. La reine demanda s’ils avaient soif et ajouta :
    — Surtout vous, messire Argouges, après votre appertise [313] .
    Un imperceptible clin d’œil dont Ogier fut troublé, accompagna cette amabilité.
    — Dame, dit-il en s’inclinant, il me plaît de recevoir de vous ce qui paraît une louange désaccordée à mes mérites.
    — C’en est une, messire, et nullement outrée. Vous avez grandement contristé deux hommes, et mon attention s’était portée sur vous.
    — Vous m’en voyez satisfait. L’essentiel, dans une joute ou un tournoi, n’est-il pas de fournir à la reine et aux dames de sa petite Cour, de la joie, du plaisir et qui sait, quelquefois, de la félicité ?
    — Si je dois formuler un regret, messire, c’est que Thomas Holland soit absent d’Ashby. Il vous eût congratulé hors de certaines présences…
    Elle était belle, Jeanne de Kent. La beauté sereine et nonchalante d’une déesse inoccupée de tout ce qui n’était pas l’amour. Il y avait en elle du fruit doré, de la fleur qui s’entrouvre, une perfection si complète et si rare qu’Ogier se demanda pourquoi Tancrède n’en paraissait pas subjuguée. Devant cette reine-là, les censeurs les plus noirs devaient rendre les armes. Quant à lui, son esprit, son cœur, ses sens étaient comme ensorcelés. Il ne pouvait qu’admirer ces yeux d’un bleu profond, cette chevelure longue, ténébreuse, riche en reflets, en parfum, tout en se disant que cette femme d’un charme si mélancolique, si insinuant jusque dans la brièveté des sourires et des regards, possédait peut-être une vertu chancelante, mais qui ne s’accordait qu’à une autre beauté. Il comprenait qu’Édouard IIIse fût épris d’elle – après tant d’autres –, tout en réprouvant la violence d’une passion qui n’eût dû s’exprimer qu’en douceurs, nuances et soupirs.
    — Il y a, messire, dans l’assistance, quelques chevaliers de France retenus prisonniers. Ils doivent être fiers de vous… et de vous trois.
    — Heureux hommes ! Ne les enchaîne-t-on pas, la nuit, comme Guillaume de Rechignac et Étienne de Barbeyrac ?
    — Il est vain de vous indigner, messire Argouges. D’ailleurs, je ne les connais point, hormis le connétable de Guines, puisqu’il fut capturé à Caen, l’an passé, par mon champion. Disons plutôt qu’il se rendit à lui [314] .
    — M’amie, intervint Tancrède à mi-voix. Hâtons-nous, le roi s’enfelonne.
    Elle avait, elle aussi, un air majestueux, des gestes arrondis comme

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