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Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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qu’elle priait pour lui. Quant au roi, il riait aux propos d’un évêque.
    Guillaume savait ce qu’ils pensaient tous : « Il est vieux ; Dartford vaincra. » Quelque confiant qu’il fut, il devait se sentir seul dans ce pré tavelé de flaques brunes, sous cette lumière verdâtre mouchetée de grains de soleil. Peut-être se signait-il en imagination tandis que Russell Chalk le considérait de la tête aux sabots de son cheval avant de se tourner vers Dartford dont le destrier encensait.
    L’attente mettait entre les jouteurs une seconde distance pleine de ténèbres et de férocité. Toute leur vigueur s’y concentrait, mêlée à une abrupte répulsion qui, plutôt que de les éloigner, allait les jeter l’un vers l’autre. Le bassinet qui les couvrait devenait moins une protection qu’un faux visage sous lequel se propageait leur malaise. L’épiderme de fer les rendait sereins alors que, dessous, leur chair n’était que sueur, bave, palpitation et rictus.
    —  Laissez-les aller ! hurla le maréchal de lice.
    Il eût dut répéter cela deux fois encore.
    Ils galopaient. Le silence était tambouriné par huit sabots ferrés, piochant le sol avec frénésie. Les bois levés se couchèrent dans l’étincellement de leur feuille d’acier dont le double craquement sur les écus fut pareil à celui d’un bûcher qui s’enflamme.
    Les lances, rompues toutes les deux à la prise, volèrent d’une part et tombèrent de l’autre.
    Partout, Ogier vit des gens sautiller de plaisir et des bras s’élever, battre comme des ailes.
    Guillaume n’avait pas vaincu son adversaire. Dartford, étourdi par une commotion inattendue, ébahi qu’il l’eût reçue d’un vieillard, revenait vers ses pairs avec force gesticulations et cris de rage. Sous le heurt, le lynx sommant sa tête s’était penché en avant. L’on eût dit qu’il interpellait son maître par-dessus la ventaille relevée.
    Les deux jouteurs regagnèrent leur aire.
    Guillaume put voir que la reine applaudissait et se demander à l’évidence si son cœur battait pour lui. Tancrède conservait son immobilité, mais ses mains s’étaient disjointes.
    « Dois-je lui confier », se demanda Ogier, « que Dartford fut son amant afin d’augmenter son courroux ? »
    — Tu l’as merveillée, dit Barbeyrac.
    — Crois-tu ?… Passez-moi l’un ou l’autre la dernière lance.
    Ce fut Ogier qui la choisit ; il en eût baisé le bois s’il n’avait craint d’être moqué.
    — Allons, messires ! hurla le maréchal de lice.
    Barbeyrac toucha Ogier de son coude :
    — Vive Guillaume. Il a fait endêver ce putain de salaud de fils d’Albion…
    — Prenez cet écu neuf qui ne m’a pas servi… Ne voyez-vous pas que le vôtre est crevé ?
    Le vétéran baissa la tête autant que le lien unissant son bassinet à son haubergeon le lui permettait.
    — Tu as raison. Baille-moi le tien, Ogier. Tu vas voir comment Rechignac…
    Il abaissa sa ventaille, empoigna l’énarme du bouclier qu’il assujettit contre sa poitrine.
    — La lance, maintenant… J’aimerais la lui passer dans le corps !
     
    *
     
    Les deux seigneurs se saluèrent avec une courtoisie tellement fausse que leurs lances en frémissaient comme des baliveaux sous le vent.
    —  Laissez aller ! cria cette fois Russell Chalk.
    Nouveaux galops. Les yeux mi-clos, suant d’angoisse, Ogier vit les bois se coucher simultanément, chercher leur but.
    Dartford jaillit des arçons et lâcha son tronçon de lance. Agrippé à la crinière de son cheval, il retomba à faux sur sa selle, évitant de très peu une chute humiliante. Le fer de Guillaume avait traversé son bouclier, faussé sa cubitière.
    — Vous n’avez rien ? hurla Ogier en s’approchant à grands pas.
    — Holà ! Holà !… Tu cours vers moi comme si tu craignais que ce grand félonneux m’ait navré !… Ne te souviens-tu pas des joutes de Thiviers ?
    — Oh ! si… Trente vaincus.
    — Trente-deux.
    — Votre main !
    — Tu saignes, dit Barbeyrac.
    — Ma lance s’est rompue sous ma paume… Ce n’est rien : une écharde.
    — Il faut te l’enlever.
    — Nous aurons tout notre temps quand j’aurai justicié cet homme.
    Ogier aida Guillaume à mettre pied à terre.
    — Vous n’avez plus d’écu !
    — Je vais en demander un à Chalk !
    — Non, Étienne. Je saurai m’en passer. Sans rien à mon côté, je serai plus à l’aise.
    Guillaume dégaina. En face,

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