Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jour des reines

Le jour des reines

Titel: Le jour des reines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
multitude proférait en anglais toujours des injures envers ce vieux seigneur qui défendait sa vie.
    Car il la défendait, maintenant ! Il sautait, marchait, se baissait, esquivait, oscillait, soutenu par une force toujours formidable, mais Ogier, l’œil brûlant, écarquillé, le sentait envahi d’une peur grandissante.
    L’humiliation d’être atteint décuplait la vigueur de Dartford. Ogier vit son oncle essayer un revers qui atteignit l’Anglais à l’épaulière senestre. Dartford riposta par un fendant juste bon à éloigner le danger. Ce fut à cet instant que le sol se cava sous le talon de Guillaume.
    Cédant à la première imagination qui lui traversa l’esprit, le vétéran leva son épée, faute énorme dont Dartford profita : la lame de Sheffield ou de Leeds ouvrit les mailles à la hauteur du médiastin et s’y enfonça d’un pouce.
    La foule hurla. Guillaume chancela, refusa de tomber, se fendit pour une estocade. Un coup de pied sur un genou le jeta en arrière si fortuitement, de façon si malencontreuse qu’il lâcha son épée.
    — Merdaille ! grommela Barbeyrac.
    Guillaume roula dans l’herbe et s’agenouilla. Un second coup de pied dans son bassinet le renversa loin de son arme.
    Une éruption de rires salua la prouesse de Dartford. L’Anglais souleva sa ventaille et regarda d’un air terrifiant cet homme qui ne se tenait pas pour vaincu et dont le sang pourprait le tabard déchiré.
    — Tu ne fais plus le fier et l’homme généreux !
    Dartford se rigolait de façon nette, cruellement éloquente. Plutôt que d’entraîner la foule, sa gaieté parut la condamner au silence.
    « Va-t-il le faire ? »
    Ogier n’osait regarder ni Barbeyrac ni Tancrède. Le maréchal de lice interpella Dartford en français, afin que sa loyauté ne souffrît d’aucune équivoque.
    — J’espère, messire, pour votre honneur, que votre mémoire est bonne !
    Et pour être entendu de tous, surtout du roi :
    —  Remember ! Remember !
    Il n’existait pas une personne, autour et dans le champ, qui ne pensât autre chose que : «  Va-t-il le faire ? » Des hommes et des femmes se délectaient sûrement à l’idée que Dartford meurtrirait le Français ; d’autres sentaient l’horreur imprégner leur angoisse.
    Enfin, des jouvenceaux se détournaient : la vérité n’était acceptable ni pour leurs yeux ni pour leur cœur. L’éblouissement d’une victoire pourtant imparfaite semblait amasser des ténèbres autour de l’Anglais ; ce n’était, en vérité, que le passage d’un gros nuage dont la suite saupoudrait Ashby.
    — Nous ne pouvons intervenir ! enragea Barbeyrac.
    — Ce serait mourir alors qu’il nous faudra le venger !
    Ogier se détourna vers sa cousine. Une expectative sans doute affreuse la figeait, debout, parmi trente ou quarante femmes assises dont peu compatissaient au sort d’un ennemi.
    — Il le fera ! gronda Barbeyrac.
    — J’en ai peur.
    Rien d’autre ne subsistait pour Ogier que ce vieillard atterré, cherchant à se mettre debout – «  comme moi à Sangatte  » –, et cet Anglais sans mémoire, incliné vers l’invisible visage de son challenger. Il piqua de l’estoc le cou de Guillaume afin de lui signifier que, contrairement à lui, sa conscience était nette et sans miséricorde.
    — Ce salaud prend son temps !… Qu’il pardonne ou finisse !
    — Les linfars [321] comme lui sont toujours sans pitié.
    Une femme hurla, puis un homme ; puis dix ; mais Dartford était gavé d’allégresse, gorgé de haine, bourré d’orgueil. Afin que son trépas fut lent et difficile, il planta de tout son poids vingt pouces d’acier dans le ventre du vaincu.
    Guillaume ne cria ni ne bougea.
    Ogier croyait avoir tout vu, tout enduré. Or, il s’était mépris : Dartford, l’épée levée au-dessus de sa tête, se mit soudain à sautiller, à sauter par-dessus le corps de sa victime et à toupiner pour qu’on le vît bien. Le sang de Guillaume poissait son gantelet senestre et gluait tout au long de son brassard de fer.
    De la foule dégrisée, un « Oh ! » de stupeur s’exhala, que l’insensé prit pour une ovation. Le tumulte grandit, s’exaspéra : l’esprit d’équité se réveillait dans cette populace abrutie par le culte de ses divinités chevaleresques. Il ne restait au vainqueur qu’un rite à accomplir : il fit quelques pas en direction du roi. Il lui fallait son approbation et son sourire. Il

Weitere Kostenlose Bücher