Le jour des reines
comte de Kent de son chef lorsqu’il avait été nommé gouverneur du fort de Creyk.
Jeanne avait vu de plus en plus fréquemment le prince de Galles… et Édouard III. Il ne fait aucun doute que le roi s’en éprit, mais qu’échaudé par son « affaire » avec Catherine de Salisbury, il fut enclin à modérer ses désirs. Jeanne, « délurée » par ses compagnes de guerre, céda bien vite aux entreprises d’un garçon qu’elle connaissait depuis l’enfance et avec lequel, sans doute, elle avait joué à des jeux d’adultes.
Thomas Holland connut son infortune. Quand le roi, après le traité de Brétigny (28 octobre 1360), lui ordonna d’évacuer les forteresses en sa possession, ses capitaines se regimbèrent sans lui épargner les sarcasmes.
« Si tu ne sais pas garder ta femme, lui dit l’un d’eux, nous saurons bien, nous, conserver nos châteaux. »
Thomas mourut de l’abus des plaisirs, des fatigues de la guerre et d’un empêchement terrible : il ne pouvait aller jeter son gantelet à la face du prince de Galles, héritier de la Couronne d’Angleterre. Il rendit l’âme à Rouen, le 28 décembre 1360 et fut enterré aux Frères mineurs. À 32 ans, Jeanne était libre.
Il me semble pas que son amant ait joui d’une exclusivité. Siméon Luce n’est point aimable avec elle, et l’on prétend même que le fils qu’elle eut d’Édouard de Woodstock, Richard II d’Angleterre, était, en réalité, celui du chanoine de Bordeaux. Mais essayons, avec Siméon Luce [341] , de parfaire le portrait de la belle, il écrit à propos de cette veuve moins joyeuse que soulagée :
« Elle n’est pas seulement en possession d’une de ces beautés souveraines qui s’avancent vers la maturité sans rien perdre de leur éclat ; elle la rehausse encore de tout le prestige du luxe, de tous les artifices de la toilette. Veut-elle inspirer l’amour, elle sait l’art de l’amener peu à peu à ce degré de violence où il ne reconnaît plus d’obstacles. Le cœur dont elle brigue la conquête, elle le fait s’enflammer insensiblement ; elle joue même d’abord presque l’indifférence puis, lorsque le moment lui semble venu, elle laisse échapper comme malgré elle une de ces confidences qui enchaînent pour la vie son adorateur. Le prince de Galles est pris, en la courtisant, aux pièges de cette enchanteresse. Ce qui n’avait été d’abord, chez le vainqueur de Poitiers, qu’une distraction galante ne tarde pas à devenir une passion irrésistible. » Le prince ne pouvait plus se contenter d’une liaison. Voulant certainement tester Jeanne après l’avoir tastée, afin de s’assurer du sérieux de son amour pour lui, il demanda sa main… pour un chevalier de ses amis nommé Bernard Brocas. La maligne éclata en sanglots et lui dit : « Très cher et redouté seigneur, c’est vous, et, pour l’amour de vous, jamais à mon costé chevalier ne gerra (couchera). » À quoi Édouard le Jeune répondit : « Dame, et je voue à Dieu que jamais autre femme que vous, tant que vous vivrez, n’aurai. »
UN INCESTE SANS IMPORTANCE
Malgré l’énergique opposition de son père qui conçut le dessein de faire occire Jeanne, Édouard le Jeune persista dans son désir de légitimer ses amours. Alerté en hâte par le roi d’Angleterre, le Pape refusa sa bénédiction et invoqua l’inceste. En effet, Édouard et Jeanne étaient parents :
Après la mort de sa première femme, Éleonore, fille de Ferdinand III, roi de Castille (1290) dont il avait eu quatre fils, Édouard I er , dit « aux Longues-Jambes », avait épousé Marguerite de France, fille de Philippe-le-Hardi, dont il avait eu Thomas, comte de Norfolk, dit « le comte maréchal » parce qu’il était grand maréchal d’Angleterre. Edmond, comte de Kent , et une fille morte en bas âge. Son fils aîné, Édouard II, avait épousé, le 25 janvier 1308, à Boulogne, Isabelle, fille de Philippe le Bel.
Le fils aîné d’Édouard d’Angleterre était non seulement cousin au troisième degré de Jeanne ; il était aussi le parrain d’une fille issue du premier mariage de la comtesse de Kent avec Thomas Holland.
Dix mois après le décès de son mari, le 18 octobre 1361, par-devant Simon Islip, archevêque de Cantorbery (qui avait pris le risque d’officier), Édouard le Jeune épousa Jeanne. Les mariés avaient reçu l’agrément du Pape, le 30 juin. Revenant sur sa décision,
Weitere Kostenlose Bücher